Questions de parfum ; kama-iri, flétrissement et cultivars

Comme je l'évoquai à la fin de mon article sur l'histoire de l’export du thé japonais, ce produit vit au Japon même des heures difficiles, une popularité en constante baisse depuis les années 80. Les raisons en sont multiples, certaines trouvant leurs origines dès l'expansion du sencha sur le marché intérieur à partir de la fin des années 50. Les énumérer n'est pas mon but aujourd'hui, et je préfèrerai évoquer, ou re-évoquer, les pistes qui pourraient mener à une réévaluation du thé japonais par les japonais.

Bien qu'il existe une grande variété dans les genres et les saveurs, cette richesse du thé japonais sort peu des milieux avertis. En effet, le marché est inondé de fukamushi sencha de qualité parfois douteuse, mais qui infuse très vite, très vert opaque, bref, ciblé grand-mères. Et quand bien même de la très grande qualité existe chez ce type de thé, il tend à éclipser tout le reste. Il s'agit pourtant bien d'un thé au goût très riche, mais auquel il manque indéniablement de parfum.

Oui, aujourd'hui, tous ceux qui cherchent à aller de l'avant avec le thé japonais ont bien compris qu'il y a là un enjeu de toute première importance: développement du thé et de son parfum.

Bien que ce soit une chose dont le développement me semble inévitable pour fournir des produits à bas prix, je passe sur le thème des thés parfumés "flavored tea" car cela nous ferait dévier un peu de notre sujet, c'est à dire le parfum du thé lui-même. Je passerai aussi sur le hi-ire (séchage final, sorte de torréfaction) qui certes donne du parfum au thé, mais il s'agit du parfum du hi-ire, et non pas de quelque chose propre à chaque thés. De plus, dans bien des cas, le hi-ire fort sert plutôt à donner de la douceur à un thé moyen plus qu'à en faire ressortir le parfum.

La chose la plus élémentaire, ce pourrait être la remise en valeur du futsumushi sencha (ou asamushi), en effet ces sencha à l'étuvage court traditionnel sont naturellement bien plus richement parfumés que les sencha longuement étuvés. L’archétype, c'est les thés de montagne de Shizuoka, Hony.yama, Kawane, ou Tenryû. Faire redécouvrir aux japonais le goût et le parfum de ce type de sencha authentique est très important me semble-t-il, mais cela ne fait pas tellement aller de l'avant, puisqu'il n'y a là rien de bien nouveau.

Autre élément, le kama-iri cha 釜炒り茶, thés dont l'oxydation est stoppée par chauffage par contact direct dans une cuve en métal, méthode dite chinoise. Parfum complétement différent, genre aujourd'hui très rare, la plupart n'en a jamais même entendu parler. Pourtant, je pense que le parfum d'un bon kama-iri pourrait réunir nombre de fans. Là encore, rien de nouveau dans le principe (ce genre étant plus ancien encore que le sencha), mais c'est tellement inconnu, que l'introduction de tels thés sur les rayons des grandes chaines spécialisées serait déjà une bouffée d'air frais.

Mais là ou se trouve le vrai enjeu, c'est bien dans la nouveauté, je pense d'une part aux cultivars, et d'autre part à de nouvelles techniques de fabrication.

Bien qu'ils soient tous très rares encore, il existe quelques cultivars aux parfums très particuliers. Inzatsu131 et Sôfû (fleurs piquantes, muguet, muscat), Shizu7132 et Fuji-kaori (feuilles de cerisier du Japon), Kôshun (fleurs, amande), ou encore le très récent Kôju (raisin). Il est intéressant de savoir que ces cultivars aux senteurs riches trouvent la plupart du temps des variétés indiennes parmi leurs ancêtres. Pendant de longue années, le développement des cultivars était centré sur le goût, la douceur, mais dans le futur, on peut s'attendre à voir apparaître des spécimens de plus en plus intéressants au niveau du parfum.

D'autre part, on commence à voir apparaître des cultivars particulièrement aptes à délivrer la "senteur de flétrissement" (ichô-ka 萎凋香), le doux parfum floral bien connu des amateurs de Wulong peu fermentés et peu torréfiés. En effet, le processus de flétrissement des feuilles attire aujourd'hui l'attention. C'est là une base pour de nouvelles méthodes de fabrication du thé au Japon. Le porte drapeau de la recherche sur le flétrissement, c'est bien sûr Hiruma Yoshiaki. De manière moins extrême, de plus en plus de producteur procède à un très léger flétrissement de leur thé pour en faire ressortir un peu plus de parfum. Ce dernier, dans un petit interview que je publierai dans quelques semaines explique que le goût d'un thé se décide surtout dans le champs, c'est à dire par la manière dont les théiers sont cultivés, mais que pour le parfum, c'est après la cueillette, durant le processus de fabrication que l'essentiel se tient.
Aussi dans un but à moitié expérimental, on voit nombre de producteurs s’essayer à la fabrication de thé noir ou de wulong (disons de thé semi-oxydé). Ces thés offrent en effet quantité de sujets d'étude, le flétrissement et l'oxydation, la torréfaction (cruciale pour ne pas gâcher tout le travail sur le parfum avec ces types de thé), mais aussi, dans le cas des semi-oxydés, la technique de sassei 殺青 (ch. shaqing , chauffage ayant pour but de stopper l'oxydation des feuilles de thé, pratiqué sur les thés verts et semi-oxydés, mais pas sur les thés noirs, complétement oxydés) à la chinoise (kama-iri).

Une très longue introduction pour présenter simplement trois thés de Hon.yama, trois kama-iri cha, trois cultivars très parfumés, Kôshun 香駿, 7132, et Kôju 香寿.

Kôshun

7132
Kôju

Si l'on compare aux standards des grands kama-iri cha produits sur l'île de Kyûshû, on peut dire que le travail de ces feuilles manque bien technicité, manque de finesse, manque de brillant, trop terne. Mais le producteur ne cherche pas à reproduire les kama-iri de compétition, mais à faire valoir le parfum propre de trois cultivars (par ailleurs, Kôju est la création du producteur, qu'il est donc le seul à exploiter). En plus de cela, les feuilles sont flétries, d'abord exposées au soleil, puis en intérieur. Cultivars ; flétrissement ; kama-iri : exemple parfait de recherche d'inovation.

Très séduisant sur le papier, mais qu'en est-il du résultat ?

On commence par la déception, Kôshun. La déception est d'autant plus grande que j'apprécie grandement ce cultivar. 
Le parfum propre de ce cultivar ne ressort que très peu, et encore, avec beaucoup de feuilles, et un temps d'infusion long, 2 min. Cela ne laisse guère de bonnes choses pour les infusions suivantes. Il y a bien un parfum sucré pas désagréable, mais il y a aussi quelque chose qui me fait penser à un mauvais dong ding. 
En revanche, la saveur de la liqueur, même avec de l'eau très chaude montre peu d'astringence, un goût doux et limpide possédant une relative longueur en bouche.
Kôshun serait-t-il peu adapté au kama-iri ?





Avec ce 7132, nous voilà en face d'un thé déjà plus réussi est intéressant. 
Les feuilles sèches sont plus joliment entortillées, leur couleur est plus uniforme bien qu'un peu ternes elles aussi.

Infusé, ce thé donne une liqueur plus légère que Kôshun, mais elle aussi très douce, avec un arrière gout qui vient rappeler son parfum. Cette fameuse odeur de feuilles de cerisier du Japon, utilisée dans les pâtisseries appelées "sakura-mochi" ne manque pas à l'appel, certes moins nette me semble-t-il que dans de bonne version étuvées de ce cultivar, mais avec en plus une petite pointe chocolatée.

Difficile de s'en rendre compte par les photos, mais Kôju est de loin le plus réussi.
Les feuilles sont vraiment très agréables à l’œil, et sont pour partie recouvertes de duvet blanc (ubuge 産毛).
Tout de suite après l'infusion, il se dégage un fort parfum de fruits mures, mais ce n'est qu'près avoir refroidi un peu que se défini clairement le parfum caractéristique de ce cultivar, du raison noir.
La liqueur est très douce, épaisse, riche.


Bien qu’excessivement cher, ce Kôju est une réussite, en tant que produit fini, mais aussi en tant que cultivar et dans l'optique de nouvelles variété qui pourraient être créées. (j'aimerai beaucoup le voir en sencha !)

Ces trois thés sont le fruit du travail d'un producteur et d'un grossiste qui s’intéresse de près au kama-iri et au flétrissement. Aussi, il porte de l'intérêt pour l'affinage des sencha. D'une manière générale, à part pour le gyokuro, on considère qu'un thé japonais doit être consommé très vite, mais il existe certains thés, certains cultivars en fait, qui peuvent gagner à être vieillis, dans des conditions très particulières. Mais sans aller jusque là, parfois, il y a des sencha qui seront bien meilleurs quelques jours, voire quelques semaines après l'ouverture de leur sachet sous vide, des thés qui surtout, s'étant légèrement oxydés verront leur parfum gagner en force et en netteté.


Commentaires

  1. Merci pour ce nouvel article extrêmement intéressant !

    RépondreSupprimer
  2. C'est moi qui te remercie d'avoir pris le temps de la lire.

    RépondreSupprimer
  3. sujet au combien intéressant et qui laisse plein d'avenir et d'espoir pour les thés japonais .

    RépondreSupprimer
  4. C'est exactement ce que je pensais, ne sommes pas si isolés que ça, il y a encore des chercheurs en saveur, ça réconforte :)

    RépondreSupprimer
  5. Bonsoir,

    Très inhabituel de voir ce Kôju, un japonais, infusé dans cette forme de porcelaine.

    Le travail (moins classique) des feuilles pour rechercher le meilleur arôme donne aussi un aspect du thé approprié au gaiwan.

    C'est un un autre avantage de cette nouveauté.

    Nicolas

    RépondreSupprimer
  6. Rien empêche de faire infuser un thé japonais dans un gaiwan, seulement, il est vrai que les sencha, fukamushi en particulier n'y sont pas très adaptés a cause ded la forme de leur feuilles, mais avec des beau gyokuro ou sencha aux belles feuilles pas trop brisées, pas dde problème. La porcelaine est très bien pour les thés de haute qualité.
    Bien sur, les kama iri ne posent pas de problème en gaiwan, et ils sont souvent très agréable dans de petites terres chinoises.

    Aussi, oui, ce genre d'expérience laissent de belles percpectives d'avenir a condition qu'elles sortent des rares boutiques très spécialisées.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés