De la naissance du fuka-mushi sencha

Ici pour un article plus récent et complet.
Le sencha est de loin le type de thé japonais le plus répandu. On fait la distinction entre le futsu-mushi sencha 普通蒸し煎茶 et le fuka-mushi sencha 深蒸し煎茶, dont le processus d'arrêt de l'oxydation,  la vapeur, est plus long. Si le premier fut inventé en 1738, le second ne fait sont apparition qu'à la fin des années 50, et prend son réel essor durant les années 70, période la plus fleurissante de production du sencha au Japon.

Les statistiques ne prenant pas en compte cette distinction, il est impossible de savoir avec précision quelle est la part de l'un par rapport à l'autre en terme de quantité de production. On peut néanmoins affirmer que à l'exception du Kansai (région de Kyôto et Ôsaka) et de la partie de Honshû à l'ouest du Kansai, le fuka-mushi sencha est aujourd'hui largement majoritaire, en particulier dans le Kantô (région de Tôkyô) et à Kyûshû. Le goût très fort du fuka-mushi sencha ainsi que sa liqueur opaque ne sont pas appréciés dans le Kansai.

Au début des années 70, à la suite de la libéralisation du commerce international du thé au Japon, la production de thé noir japonais s'écroule, maintenant que les industriels japonais peuvent acheté du thé noir étranger sans avoir à acquérir une quantité équivalente de thé noir japonais, ce dernier n'intéresse plus, trop cher et de trop mauvaise qualité.
Or, à Makinohara 牧之原, importante région productrice en plaine du sud de Shizuoka, on avait l'habitude d'utiliser la première récolte pour faire du thé vert, du sencha, et la seconde du thé noir. Voilà une habitude qui paraît bien étrange aujourd'hui, du sencha et du thé noir avec les même théiers ! Quoi qu'il en soit, dans cette région en plaine, le soleil tapant fort, et les cultivar n'étant pas encore aussi répandu qu'aujourd'hui, il était alors impossible d'obtenir un bon sencha avec la deuxième récolte, qui donnait un thé vert très astringent et amère à la liqueur brunâtre. Pour cette raison, on en faisait du thé noir.
Mais maintenant qu'il n'y a plus personne pour acheter ce thé noir, que faire avec la seconde récolte ? Il semblerait que des producteurs aient compris qu'en étuvant plus longtemps les feuilles, 1 minute au lieu de 30 seconde, on obtenait une liqueur verte, moins astringente. Le sencha ainsi obtenu a pour défaut d'être assez décomposé et poudreux, mais possède de très appréciables qualités. D'une part, évidemment, il s'infuse plus vite, et d'autre part, il est très doux.

Ainsi, ce nouvelle variante de thé japonais reçu un accueil très favorable dans le Kantô.
 
Une raison du succès de ce type de thé dans le Kantô en particulier serait que dans les années 60, 70, et 80, l'eau courante y était particulièrement mauvaise, impossble de préparer avec cela les classique sencha à l'étuvage standard. Mais en revanche, le goût très fort des fukamushi réussirait à cacher les défauts de cette eau. 

Aujourd'hui, on produit bien sûr une quantité très importante de fuka-mushi sencha avec la première récolte également.
Cette "invention" à bien sûr eu le mérite d'élargir encore considérablement les possibilités du thé japonais, mais aussi de très nombreux démérites : l'idée chez les japonais que le thé est instantanée, aujourd'hui, impossible de les faire attendre 1 min 30 qu'un bon futsumushi des montagnes infuse. Aussi, l'aspect poudreux des feuilles des fukamushi est je pense une sérieuse barrière à la diffusion de l'idée que le thé est un produit passion, fin, subtil, profond, à l'égal des thés chinois, du vin, du whisky, ou que sais-je encore.

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Commentaires

  1. comme toujours, passionnantes explications.
    et maintenant, il faudrait goûter

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  2. Très intéressant encore une fois. Est-ce encore la peine de la préciser ? ^^

    ++

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  3. Une superbe invention ce Fukamushi, plutôt doux, épais, sensation duveteuse et verte, pour cela que j'ai été surpris de lire qu'il était jugé comme fort dans la région du Kansai.

    Ensuite, avec le temps ce sont souvent ces fukamushi de Kagoshima qui attirent toute mon intention.

    Chose encore intéressante, tu parles de "Futsu-mushi sencha" or j'ai toujours vu cette catégorie sous le nom de " Asa-mushi", sais pas si tu fais une distinction ?

    Il y avait donc 2 types de sencha en fonction de l'étuvage :

    - Asamushi qui est composé principalement d’aiguilles fines et longues; dont les feuilles ont été passées moins longtemps à la vapeur, moins molles pour l’étape du roulage et donc laisse des feuilles plus entières.
    La liqueur est plus limpide, douce et plus complexe aromatiquement. On dit que c’est le style des plus hauts grades de sencha, tant pour l’esthétique de ses feuilles que pour sa liqueur tout en finesse.

    - Fukamushi lui a des feuilles plus morcelées qui résulte d'une sensibilité plus importante au roulage cumulé à une dessication plus longue d’1 minute.
    La liqueur elle est dense et texturée avec un caractère aromatique plus fortement herbacé.

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  4. Gnrh,
    Intéressante remarque.
    Futsu-mushi sencha et asa-mushi sencha désignent la même chose, un thé japonais passé 30 secondes à la vapeur.
    Beaucoup de professionnels et de consommateurs ont pris l'habitude de parler plutôt de "asa-mushi", terme jugé autrefois plus parlant. En effet, ce terme vient de l'adjectif "asai" 浅い, qui veut dire "peu profond", et s'oppose donc à merveille à l'adjectif "fukai" 深い qui veut dire "profond".
    Néanmoins, récemment, d'une manière officielle, il a été décidé de privilégier plutôt le terme "futsu" 普通 qui veut dire "normal", "habituel", "régulier", etc.
    La raison de ce choix se trouve dans la colère des professionnels du Kansai, où l'on ne produit et consomme quasiment que du "futsu-mushi". Pourquoi ce courroux envers le terme de "asa-mushi" ? Parceque pour ces derniers, passer un thé 30 secondes à la vapeur n'est PAS "asai", "peu profond", c'est "normal", "futsu", puisque c'est comme cela que l'on fait depuis toujours. Ce point de vue est tout à fait défendable, et j'y adhère totalement.
    Ainsi, toutes les publications venant d'organismes officiels, ou en rapport avec l'industrie du thé au Japon, utilise "futsu-mushi sencha". Néanmoins, nombreux sont ceux à parler encore de "asa-mushi sencha".

    Aussi, aujourd'hui, le fuka-mushi a pris de telles proportions, parfois jusqu'à deux minutes (!), qu'un thé passé à la vapeur seulement un peu plus que 30 secondes, et moins d'une minute je pense, est parfois qualifié de "chû-mushi" 中蒸し, "chû" désignant "le milieu", "moyen", "intermédiaire". Ce terme n'a néanmoins rien d'officiel, et devant l'allongement du temps pour les fuka-mushi, un thé passé 1 minute et qui ne s'est pas trop décomposé, pourra être qualifié de "futsu-mushi" à Shizuoka ou Kyûshû. Evidement, en voyant ce même thé qualifié de "futsu-mushi", un professionnel du Kansai criera au scandale ! (eh oui, ils sont comme ça dans le Kansai...)

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  5. Et merci encore pour vos compliments, qui me poussent à continuer avec le plus grand des plaisirs dans ma tâche.

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  6. Est-ce qu'il faut y voir une rivalité entre les différentes régions productrices, ou à Tokyo on aime pas trop les gens de Kyoto ? ^^

    Et oui, il faut continuer stp !!

    ++

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  7. David,
    non il ne m'a jamais semblé voir la moindre rivalité au niveau du thé au Japon. La production de thé dans le Kantô est de qualité mais minime et malheureusement méconnue, et n'a pas le prestige de celle de Kyôto/Uji. Les Tôkyôïtes consomment avec le plus grand plaisir le thé de Uji (+ blend avec Nara ou Mie, bien sûr, sans le savoir), et le thé du Kantô n'atteint le Kansai.
    Non, la question est purement culturelle, de goût et d'habitude alimentaire. D'une manière générale, d'un point de vue des habitudes alimentaire, les goûts vont vers une cuisine aux saveurs plus légère et subtils dans le Kansai.
    Qu'un industriel défende la façon de faire de sa région est tout à fait naturel, d'autant plus dans le cas du Kansai, qui est une région, historique du développement du thé au Japon.
    Mais je n'ai jamais entendu un producteur dire du mal du thé d'une autre région.

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  8. Cela m'étonnait aussi. Il est effectivement intéressant de voir à quel point les Japonais sont attachés à leur cuisine locale et ce dans toutes les régions (au grand bonheur de mon estomac !)

    Merci de la précision.

    ++

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  9. Salut Flo,
    Est-ce qu'il serait possible de trouver une carte des différentes régions de production pour s'y retrouver, un peu comme on a des cartes avec nos AOC en France ? D'ailleurs, y a-t-il des AOC au Japon ? J'imagine que oui...
    Cheers

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  10. salut Pat
    Je ne sais pas s'il y a des AOC exactement, mais en tout cas il y a des règles pour nommer un thé selon sa région de production, j'en parle dans mon article sur les blends.
    Pour une carte, je n'en ai pas, ou en tout cas pas suffisemment détaillée, mais ça doit se trouver. Tu regardes mon article sur les régions de production armé d'une carte du Japon.

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