Shiage, le raffinage du thé japonais


J’ai évoqué récemment la phase cruciale de la fabrication d’un thé japonais que l’on appelle « shiage », que l’on peut désigner par « raffinage » du thé. Au Japon, d’une manière générale, le producteur produit le « aracha », thé brut, produit non fini, encore impropre à la commercialisation (même si certains ne se gênent pas). C’est la plupart du temps le travail des grossistes de faire ce raffinage, même si un certain nombre de producteurs vendant au détail le font eux-moins avec plus ou moins de bonheur. La technique est en effet loin d’être facile et demande un savoir-faire important.

On peut dans cette phase finale de raffinage distinguer deux grandes parties :
-        Le tri : il y a en effet dans le matériau brut aracha des éléments indésirables tels que les tiges, de la poudre, des feuilles trop grosses, etc. On comprend alors qu’un thé (correctement) récolté manuellement sera bien plus facile à trier.
Dans le détail, parmi tous les éléments triés, il faudra décider de ce que l’on pourra, et comment, éventuellement réintégrer au « honcha » c’est à dire le thé, les feuilles, conservées pour le produit fini.
-        Le séchage final, « hi-ire » en japonais, que l’on peut désigner comme une torréfaction. De 5% d’humidité résiduelle dans le aracha, il faudra passer à 3% pour une conservation par le consommateur. Il ne s’agit pas seulement de conservation, mais aussi de goût. En effet, la manière dont on va effectuer ce hi-ire va avoir une influence importante sur les arômes du thé. C’est une phase délicate, qui demande beaucoup d’attention, d’autant plus si l’on recherche un parfum de torréfaction fort.
Ainsi, le même thé brut aracha, pourra encore donner tout une variété de thés différents selon la manière dont il sera raffiné.

Les méthodes vont d’un travail presque entièrement manuel avec des outils simples, à un travail presque entièrement mécanisé pour des quantités très importantes à raffiner.
En réalité, les grosses lignes de raffinage tendent à être de moins en moins utilisées du fait de la diminution de la taille des lots. Le schéma le plus normal devient donc le travail sur plusieurs machines petites ou moyennes, outils divers pour les différentes phases de raffinage.

J’ai assisté il y a quelques jours au raffinage de trois thés de Umegashima (Shizuoka, Hon.yama) que je source directement en aracha. C’est un travail très intéressant, mais qui présente évidemment des décisions difficiles à prendre.





Tout d’abord, il y a le tri. Cela peut se faire via une succession de tamis (furui), un à un, ou bien comme là sur une machine qui regroupe plusieurs tamis de taille différentes, permettant de suite une séparation, grosso-modo, de plusieurs éléments : Honcha ; poudre (kona) ; brisures de bourgeon (me) ; grosses feuilles « atama » (on sépare ici deux tailles, ô-atama et chû-atama).




Parmi les grosses feuilles, le tri n’étant pas parfait, il peut rester des feuilles qui peuvent être intégrées telles quelles dans le honcha. Pour cela on peut re-trier les atama avec un tamis différent éventuellement.

Je parle du honcha, mais à ce niveau, le travail n’est pas fini. Nouvelle phase de tri, avec une machine (tômi) fonctionnant avec du souffle. A quoi cela sert-il ? A séparer les éléments plus légers du honcha, poudre encore (de plus, lorsque la phase précédente au tamis est faite avec une machine plus simple, la poudre n’est pas séparée du tout à ce stade), mais aussi keba, sortes de fils très fins qui sont en fait des lanières de l’écorce des tiges.
Ce tri par souffle pourra être aussi utiliser pour séparer les petits bouts de tiges des brisures de bourgeons (me) qui peuvent être ensuite réintégrées au honcha, s’agissant de bouts de bourgeons, très riches en goût.


Le honcha, trié, débarrassé de sa poudre, il faut maintenant trier les tiges (kuki). Pour cela on utilise une machine fascinante appelée shiki-sen. Le thé glisse dans des petites rigoles alors que des capteurs identifient les tiges par leur couleur. Celle-ci sont alors soufflées hors du honcha. Cette phase est lente. Par ailleurs, avec les tiges une quantité plus ou moins importantes de feuilles de thé se trouve mélangée. Il est alors possible de refaire passer les tiges au tri par couleur pour un meilleur tri et récupérer plus de feuilles pour le honcha.


Lorsque cela est terminé, on peut penser qu’il ne reste plus qu’à faire la torréfaction hi-ire du honcha. Mais avant cela, dans certains cas, il faut aussi décider de ce que l’on va faire des ces grosses feuilles appelées atama qui ont été triées précédemment. Avec certains types de thés, le ratio est très important, et les écarter complètement du honcha ne sera pas rentable, d’autant plus que ces feuilles peuvent être très bonnes. Il faut donc les couper avec un tamis plus ou moins fin. Là encore, choix difficile. 


Une fois en partie coupées, ces feuilles pourront passer au tômi pour en retirer la poudre. Enfin on pourra mélanger au honcha, puis passer à la phase de séchage final.

Pour le hi-ire, il existe une variété importante de machines et de tailles, qu’il serait difficile de détailler ici. Bien sûr chaque type à ses caractéristiques, avantages et inconvénients. Les petites machines à tiroirs qui chauffent par vent chaud sont parfaites pour les petites quantités et si l’on ne cherche pas à imprimer de parfum de torréfaction. Dans le cas contraire, il faudra utiliser un tambour avec surface chaude.
Pour mes thés de Umegashima, c’est dans une usine de Sayama que je fais faire le travail, avec un hi-ire fait avec un outil typique de ce lieu, le hoiro. Ce terme désigne en général le plan en papier chauffé dont on se sert pour les thés roulés à la main (temomi-cha), mais il en existe aussi, d’un format plus petit, destiné à la torréfaction du thé.


Le thé fini est prêt, propre à une commercialisation.

Combien de temps tout cela prend ? Cela dépend de la manière, du degré de perfection recherché. Si l’on reste sur quelques dizaines de kilos, on peut torcher tout cela en deux ou trois heures. Mais pour un travail plus précis, cela peut prendre une journée.
Lorsque les quantités sont importantes les éléments triés (qu’on appelle demono) deviendront les kuki-cha, kona-cha, me-cha, et les grosses feuilles atama non utilisées finiront en hoji-cha.
En général, la perte est d’un peu moins de 10%, mais avec certains thés (et les décision prise durant le raffinage, cela peut aller à 20%, voire plus (un zairai par exemple peut s’avérer très peu rentable).

Bien sûr, le cas échéant, le blend (assemblage de plusieurs thés) est une autre phase de finition, qui demande encore un savoir faire bien particulier, et qui peut orienter la manière de raffiner chaque thés.

Le lecteur aura compris l’importance extrême du raffinage shiage du aracha pour en faire un thé, sencha ou autre, digne de ce nom. Il aura compris que commercialiser du aracha est un acte facile et léger, peu recommandable quel que soit l’argument commercial.

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