Sadô et sencha-dô, petites Histoires croisées

Le sadô 茶道, la cérémonie du thé, l'une des manifestations culturelles japonaise les plus connues au monde. On déguste dans les règles le matcha, antique thé rapporté de Chine par Eisai 栄西 en 1191. Initiée dès le 15ème, elle se cristallise au 16ème sous l'influence de Sen no Rikyû 千利休 , pour finalement se figer durant le première partie du 17ème siècle. Bien que issue du milieu monastique (Chan 禅, c'est à dire Zen, essentiellement), le sadô fut largement soutenu par la classe des guerriers qui régissent le Japon au moyen-âge. Durant la 2ème moitié du 16ème siècle, les Shôguns successifs Oda Nobunaga 織田信長 puis Toyotomi Hideyoshi 豊臣秀吉 firent de Rikyû leur maître de thé. Ensuite, les guerriers Furuta Oribe 古田織部, puis plus tard Kobori Enshu 小堀遠州 apportèrent leurs marques très personnelles à la cérémonie du thé.
Néanmoins, alors que débute le long règne des Tokugawa 徳川, le sadô, avec de nombreuses écoles, se fige dans des règles strictes et rigides, perd de sa popularité, et ne reste que l'apanage des guerriers, non pas comme une passion comme cela le fut pour Hideyoshi par exemple, mais comme une simple pratique sociale, simple élément "mondain".
Après la restauration du pouvoir impérial en 1868, le sadô menace de disparaître, mais le gouvernement de Meiji réussi à sauver cette important trésor culturel en en faisant une part de l'éducation des jeunes filles. C'est ainsi que cette pratique garde aujourd'hui encore une image très féminine alors qu'il s'agit à l'origine d'un univers très masculin.

Cependant, dès le début du 17èm siècle, un nouveau mouvement, ou plutôt une nouvelle pratique du thé se dessine au Japon. Les lettrés, par esprit de liberté et en réaction face à l'ordre établi que symbolise le matcha et le sadô, se tournent vers un nouveau type de thé, le sencha, thé en feuille que l'on boit infusé dans une théière. Bien sûr il ne s'agit pas encore de ce que l'on appelle "sencha" aujourd'hui, mais de ce qu'on appelle alors "tôcha" (唐茶 littéralement "thé des Tang"), qui désigne le thé vert à la chinoise que l'on appellerai aujourd'hui kama-iri cha. Pour ces lettrés, le matcha, opaque, représente les troubles du monde, alors que la liqueur transparente du "sencha" leur évoque la limpidité de l'esprit libre. Il y a bien évidemment chez eux une forte influence de la culture continentale, philosophie, peinture, littérature....et donc du gong fu cha 工夫茶.
Ce mouvement au départ appelé "sencha shumi" (煎茶趣味 goût pour le sencha) fut initié par le moine Kôyûgai 高遊外 (aussi appelé "le vieillard vendeur de thé", Baisaô 売茶翁), puis suivi par toute la crème des penseurs, écrivain ou peintre du 18ème sicèle comme Tanomura Chikuden 田能村竹田, Raisan yô 頼山陽, ou encore Ueda Akinari 上田秋成, célèbre auteur des Contes de la Lune et de la Pluie.
Leur pratique du thé est très libre, s'accompagnant d'alcool, et indissociable de leurs exercices culturels. Aussi, ce mouvement fut l'occasion de l'arrivée de nombreux accessoires, à commencer par la théières. Ils seront les premiers à adopter le nouveau "sencha", aux feuilles étuvées, qui apparaît au 18ème siècle, et correspond à notre sencha actuel.

Néanmoins, au 19ème siècle cette pratique du "sencha" donne naissance à nombre d'écoles, et cette pratique se codifie, et fini par se figer, ironiquement dans une cérémonie pas si éloignée du sadô, que l'on appelle sencha-dô, ou "voie du sencha".

Je n'ai malheureusement pas de photos pour pouvoir donner une idée de à quoi peut bien ressembler une séance de sencha-dô, mais dans l'ambiance, on est très proche du sadô. Seulement, ce qui est intéressant c'est le nombreux important d'accessoires : théière et tasses bien sûr, mais aussi yuzamashi (accessoire pour faire refroidir l'eau), bouilloire et son support chauffant (genre de samovar), pichet d'eau froide aussi, tout un jeu de serviettes (comme dans le sadô), étagère portative, "cuillères" en bambou, boîtes à thé, et que sais-je encore.
Ces accessoires et les différentes procédures varient selon le type de thé utilisé (sencha, gyokuro, hôji-cha, etc, selon l'école, selon ou se passe la cérémonie (en intérieur, dehors)...

Les pratiquants du sencha-dô vantent leur pratique comme quelque chose de bien plus libre, de bien plus centrer sur le goût et le plaisir du thé que le sadô.  Sans entrer dans les querelles d'église, disons que le sencha-dô reste quand même sacrement rigide, bien éloigné de l'esprit des lettrés qui l'ont "initié", et que niveau "goût", leurs méthodes peuvent être critiquées (eau trop chaude, utilisation d'accessoires peu adaptés au fukamushi-sencha, etc).
Il n'en reste pas moins que cette forme culturelle est très très peu connue, ce qui est fort dommage car elle pourrait être un média pour la promotion du thé japonais au Japon et ailleurs.

Commentaires

  1. Merci pour ce moment d'Histoire passionnant.

    Je commence à faire des économies afin de me rendre au jour au Japon...tellement c'est Riche...comme Culture.

    Amitiés.

    . PHILIPPE .

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  2. Bonsoir Florent,

    Le matcha « antique thé rapporté de Chine par Eisai » était-il en poudre ? Les Chinois en consommaient-ils régulièrement à l'époque ?

    J'ai une autre petite question : je connaissais le terme de samashi pour désigner un refroidisseur d'eau. Je vois que tu emploies ici yuzamashi. Y a-t-il une différence entre les deux ?

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  3. Merci infiniment pour toutes ces informations sur le sencha-dô.

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  4. Merci à tous pour vos commentaires.

    Julien, oui, "samashi" et "yu-zamashi" désigne la même chose. "Yu" désigne l'eau chaude.

    Le matcha, en poudre, sur laquelle on verse l'eau chaude, était le thé "mainstream" durant la Chine des Song, mais durant les Yuan, puis surtout les Ming, il fini par disparaître complètement sur le continent, pour être tout à fait remplacé par le thé en feuilles, à l'oxydation arrêté par chauffage dans une poêle (le matcha est étuvé).

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  5. Merci pour ce billet!
    J'ai eu l'occasion d'assister à un extrait de Sencha Do grâce à l'Ecole du Thé du Palais des Thés il y a 2 ans.
    J'ai vraiement hâte comme je te le disais de venir au Japon pour creuser tout ça et venir dans ta boutique!(c'est toujours prévu, mais pour l'année prochaine; cette année ce sera la Chine dans la région de Hangzhou).
    Claire

    PS : sais-tu où je peux me procurer du Kuchi-Kiri en ligne ou en boutique?

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  6. Bonjour,
    Une question à nouveau sur ce billet. Sais-tu s'il est utilisé indifféremment un Kyusu ou un hohin pour le sencha dô?

    Claire

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  7. Bonjour Claire,
    Merci pour ton message (et ton lien aussi !!!)

    Le kyusu ou hohin sont utilisés dans le sencha-dô, bien que le hohin le soit probablement surtout pour le gyokuro.
    Néanmoins, dans le sencha-dô, s'il y a un point ou l'on est resté fidèle au origines, c'est le goût pour les objet chinois, donc utilisation aussi de "chafu" chinois.

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  8. Bonjour,

    je découvre votre blog avec grand plaisir, par "hasard" en cherchant des informations sur l'origine de la Cérémonie du thé. Je suis moi-même en train d'apprendre un peu de "l'art du thé", grâce à une rencontre magnifique avec une Maître de thé au Japon.
    Je vous souhaite pleine réussite pour votre boutique en ligne. Proposez vous également des dégustations au Japon ? Si c'est le cas cela m'intéresserai goûter votre thé.
    En tout cas cela me fait extrêmement plaisir de savoir qu'on peut être sommelier en thé japonais !
    Cordialement

    Cybèle

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  9. Bonjour Cybele, et merci pour votre message.

    Pour l'instant ma situation d'employés dans une compagnie de thé ici rend ma situation un peu delicate, et je préfère ne pas trop ébruiter mon activité en ligne a l'intérieur du pays.

    Je vous souhaite aussi pour ma part de belles découverte dans votre " voie du thé ", et espère avoir d'autres de vos nouvelles à l'occasion.

    Amicalement,
    Florent

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  10. Bonjour,
    Avez vous une idée comment s’appelle cette magnifique et grande théière qui ne sert que à l’eau froide dans la cérémonie Senchado.
    Merci d’avance
    Nadia

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