Ureshino, 1ère partie : kama-iri cha

L'occasion fait le larron, et j'ai justement deux thés qui témoignent des deux facettes du thé de Ureshino 嬉野. Un kama-iri cha 釜炒り茶 et un mushi-sei tamaryoku-cha 蒸し製玉緑茶.

Ureshino est une localité du département de Saga 佐賀, sur l'île de Kyûshû. En 2009, Saga se trouvait au 10ème en terme de surface cultivée. On est très loin des géants Shizuoka et Kagoshima.
Néanmoins, Saga peut s'enorgueillir d'une histoire très ancienne en ce qui concerne le thé au Japon, puisqu'il semble que le moine Eisai 栄西, à son retour de Chine en 1191, planta une graine de thé sur le Mont Sefuri 脊振. On fait de ce lieu la plus ancienne place de culture du thé au Japon. Aussi, en 1440, un potier venu de la Chine des Ming y aurait transmis une technique de culture du thé. Rappelons que sous la dynastie des Ming, se développe en Chine le thé à l'oxydation stoppé par chauffage direct dans une poêle, thé en feuilles, que l'on fait infuser dans une théière (ce que l'on appellerai aujourd'hui en japonais kama-iri cha).
Au début du 16ème siècle un autre potier des Ming y aura diffuser cette technique de fabrication de thé. Enfin, au début du 17ème, un homme du fief de Saga, Yoshimura Shinbee 吉村兵衛 ce serait investi dans le production à titre commercial de ce thé nouveau.

Et en effet, aujourd'hui, qui dit Ureshino dit .......... sources chaudes .......... hmmmm, prenons les choses  l'envers, qui dit kama-iri cha pense en général au thé de Ureshino.

Même s'il s'agit d'une petite région de production, et que nombreux sont ceux qui n'ont jamais entendu parler de thé d'Ureshino, c'est une région importante dans l'histoire du thé au Japon. sa position géographique la plaçant sur le chemin des moines sur le retour de voyage d'étude en Chine, ou  encore comme destination de potiers chinois. Le département de Saga est aussi le berceau des poteries Arita-yaki 有田焼 et Imari-yaki 伊万里焼.

Pour finir cette longue présentation, il existe deux technique de chauffage du kama-iri cha. La première est celle dite de "Ureshino", où les feuilles sont chauffées et malaxées dans une grande poêle inclinée à 45°. La seconde est dite "Aoyanagi" 青柳, et fait intervenir une grande poêle posée à l'horizontale. C'est la technique utilisée dans les départements de Miyazaki et de Kumamoto. Elle laisse pensée à une production moins spécialisée, puisqu'un tel instrument pouvait servir à d'autre chose, alors que dans le cas de la technique de Ureshino, la poêle inclinée ne peut guère servir à autre chose. On la retrouve évidemment dans le département de Saga, mais aussi de Nagasaki. Par ailleurs, l'appellation thé de Ureshino (Ureshino -cha 嬉野茶) désigne les thés produits dans le département de Saga, mais aussi ceux produits dans le département riverain de Nagasaki. Il faut dire que plus de 80% du thé produit à Nagasaki (11ème rang) l'est dans la région de Higashi Sonogi 東彼杵, juste de l'autre côté de la frontière qui sépare les deux départements au sud, à quelque kilomètres de Ureshino. Il s'agit du même terroir, et cette décision n'a donc rien d'abusive.

Venons-en aux faits, au kama-iri cha qui m'intéresse aujourd'hui. Il y a quelque temps, j'avais évoqué un splendide kama-iri cha, qui m'avait poussé à réévalué ce genre. D'autres m'ont confirmé depuis dans cette voie. Ils étaient en provenance soit du département de Miyazaki soit de celui de Kagoshima. On reste sur Kyûshû, mais pas à Ureshino, dont le nom est pourtant symbolique de ce type de thé.

Mais voilà qu'il y a quelque jours, une exhibition de poterie en provenance de Kyûshû me pousse au dernier étage d'un grand magasins près de mon lieu de travail. Rien de bien passionnant, en revanche, s'y trouvait un stand de thé de Ureshino. Je m'y dirige sans hésiter. Nombreux genres représentés, et donc, du kama-iri ! Sachant qu'il existe le pire et le meilleurs avec ces thés, mon choix se pose sur le plus cher, 1575 yens, pas cher dans l'absolue, mais plutôt cher pour ce type de produit, plus que ceux qui m'ont régalés ces derniers mois.

Le toucher au travers le sachet ne me donne cependant pas un très bon sentiment, c'est rêche, volumineux (c'est à dire que ce thé est léger), et je me remémore avec inquiétudes de lointaines expériences malheureuses en kama-iri cha. Mais qui ne tente rien n'a rien.

L'ouverture du sachet confirme néanmoins mes peurs. On est bien loin de mes récentes découvertes, feuilles relativement jolies, mais ternes en comparaison de ceux que j'ai dégustés récemment. Toujours comparativement, les feuilles sont habillement roulées, mais manquent de corps.


Mais il y a plus décevant : le parfum. Rien qu'un léger parfum, sans force, qui me rappel un baozhong de mauvaise qualité acheté à l'aéroport de Taipei pour liquider mes dernières piécettes. Là encore, on est loin de la puissante fragrance de châtaigne grillée, accompagnée d'une touche de conifère, des grands kama-iri cha précédents, du fameux kama-ka 釜香, caractéristique d'un bon kama-iri cha.
Aussi, je ne me fait guère d'illusion quant au thé infusé. Je l'avais d'abord testé à la boutique avec les moyens du bord, c'est à dire une théière tokoname-yaki classique de 300 cc. Son gros volume ne permet pas de toute façon de tirer ce qu'il faut d'un tel thé, dont le parfum doit être le principal attrait. Passons, en laissant à ce thé le bénéfice du doute.
Donc, re-test, à la maison, avec une théière chinoise qui est devenue mon ustensile officiel pour les kama-iri, elle fait des merveilles (alors qu'elle cale sur les thés chinois !).
Je mets beaucoup de feuilles, pas trop d'eau, 90°C environ. Je laisse 50s.
Il ressort du parfum, sans aucun doute, mais rien de superbe, comparativement en tout cas. C'est tourbé, un brin épicé.
Vu le gros dosage de feuilles, l'astringence est bien présente, mais rien d'affolant, la liqueur a du corps, et il reste en bouche une agréable douceur, pas d'amertume à signaler. C'est pas désagréable, et je pense presque qu'avec un tout petit peu moins de feuilles, du point de vu du goût, on a là un thé plutôt satisfaisant.

Pour conclure sur ce thé, je crois qu'il faut se rappeler qu'à la base ce type de thé a à Kyûshû une existence proche de celle du Hôji-cha, c'est à dire un thé du quotidien, plus pour le parfum que pour le goût, qui se boit en grosse quantité, qu'on fait infuser à l'eau très chaude sans faire spécialement attention à la manière.  Alors, dans cette optique, ce thé se situe plutôt dans le haut du panier, le parfum est bien là, et le goût est étonnamment agréable. Bien sûr il ne supporte absolument pas la comparaison avec les thés évoqués précédemment, mais ceux-ci sont en réalité des exceptions, réalisés par des experts à la maîtrise technique rare. Le thé d'aujourd'hui fut surement produit à partir de feuilles de très bonne qualité, mais ensuite la technique ne suit pas, est incapable de faire ressortir le fameux kama-ka de ces bonnes feuilles. Et de cette manière le produit obtenu est trop cher, et on ne peut que déplorer que ce ne sera pas ainsi que l'on fera réévalué ce genre.

Je donne ici une image pas tellement reluisante du département de Saga et de Ureshino, mais il y a aussi  beaucoup de grandes choses dans cette région productrice, auxquelles je rendrai hommage dans la deuxième partie.

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