Sencha de théiers "zairai" et Yabukita de Umegashima

L'an dernier, je vous avez proposé un sencha de Umegashima (de Nyûshima plus exactement) à Hon.yama, Shizuoka, issu d'une "vieille" plantation de théiers "zairai". Il s'agissait d'un thé récolté très tardivement, presque un bancha, avec une torréfaction hi-ire très forte. En effet, les plantations "zairai", c'est à dire des théiers issus de graines, tous différents donc, par opposition aux cultivars, reproduits par boutures, tous identiques génétiquement, sont d'une manière générale non seulement très rares, mais aussi utilisées pour faire des thés assez bas de gamme. Depuis que les cultivars se sont développés, les "zairai" ont été très dépréciés, et il est vrai qu'ils sont très difficiles à travailler, chaque arbuste étant différent, ils ne bourgeonnent pas à la même vitesse, et donne donc un matériel peu uniforme, très difficile à malaxer. Il ne fait aucun doute que les cultivars ont contribué d'une manière écrasante à l'augmentation de la qualité du thé. Pourtant, cela ne veut pas dire pour autant qu'il faut complètement oublier les vieux "zairai". ceux-ci peuvent avoir à la fois un caractère très fluide et désaltérant et une force particulière.




L'idée fut donc l'an dernier d'exploiter mieux cette superbe plantation au bord de la rivière Abe ou les Yabukita et les zairai cohabitent. Le producteur ne sait pas exactement depuis quand ces théiers "zairai" sont ici, mais pour certains, probablement plus de 100 ans (ce qui au Japon est très vieux, les cultivars, moins résistants, sont eux renouvelés tous les 30-40 ans). Certains, plantés en ligne de manière moderne sont probablement plus récents, mais ceux plantés de manière individuel sont certainement très anciens.
Dans cette zone les pesticides ne sont plus utilisés, et le producteur utilise des engrais bio, passant à des engrais issus du pressage du sésame l'an dernier.



Pour moi, il n'était pas envisageable de me contenter du sencha tel qu'il fut fabriqué l'an dernier. Ainsi, j'ai demandé au producteur de cueillir cette année les feuilles plus jeune, pour en faire un beau sencha. C'est ainsi que j'ai passé la journée du 10 mai 2018 à Nyûshima pour assister à la production d'un très petit lot de ce zairai !


 Le producteur travaille sur une petite ligne de 35 kilos. Pour cette année seulement une seule "fournée", 30 kilos environ de feuilles fraîches, ce qui donne 6-7 kilo de thé brut aracha, et 5 kg après raffinage. L'an prochain je voudrais le double.
A regarder et toucher les feuilles passer dans chaque machine pour le malaxage, il n'y a pas besoin d'être un grand expert pur comprendre la difficulté de la production d'un sencha zairai, où l'on trouve aussi bien de minuscule pousse que de feuilles commençant déjà à durcir (on comprend aussi alors qu'une récolte manuelle très soignée et très sélective puisse être souhaite en terme de qualité, mais aussi catastrophique en terme de rentabilité).
Le résultat est clairement complètement différent du sencha présenté l'an dernier. Alors que l'an dernier, il avait été raffiné avec une torréfaction très forte, pour ce sencha bien plus beau, j'ai demandé un hi-ire relativement faible.

Aussi, j'ai pu avoir quelques Yabukita du même producteur, et c'est celui de cette même plantation qui m'a semblé le meilleur, et que je vous propose donc en parallèle avec le "zairai".

Ce zairai s'infusera avec de l'eau bien chaude de préférence, au moins 80°C.
La première infusion donne une belle liqueur au parfum sucré gourmand, pas végétal pour un sencha malgré la torréfaction faible.
En bouche c'est en effet un thé très fluide et léger de premier abord. Pour il possède aussi un bel after puissant et sucré. On dénote une très légère touche tannique.
 La deuxième infusion donne un thé plus dynamique. Toujours aussi fluide et aérien, sans astringence, ce sencha est alors plus aromatique. Le caractère sucré et minéral de la première infusion laisse place à des arômes, toujours légers et subtils, de type parfumerie, un peu végétaux avec une touche d'agrume.
La deuxième infusion semble parfois bien plus riche et complexe. Je dis parfois car en effet, d'une session à l'autre, un "zairai" peut proposer des arômes "surprises", étant composé de théiers tous différents. On imagine que parmi tous ces arbustes, il y en a probablement qui pourraient être sélection et donner un cultivar aux arômes formidable .....

 Ce thé pourra donner jusqu'à quatre infusions très agréables, avec toujours cette belle impression de pureté, et une touche sucrée, pas umami.
Il est particulièrement difficile de saisir les arômes d'un sencha zairai, surtout de qualité, tant chaque session pourra donner des nuances différentes. Quoiqu'il en soit, il s'agit d'un très bon zairai, et je suis très heureux de m'être engagé avec M. Koizumi pour avoir ce thé très "spécial".

Voici maintenant le sencha fait avec les théiers Yabukita cohabitant avec ces théiers zairai dans la même plantation.

N'y allons pas par quatre chemin, du point de vu le plus objectif de jugement d'un sencha, ce Yabukita est clairement supérieur (ce qui ne signifie pas nécéssairement "meilleur", cela étant subjectif et lié aux goûts de chacun).
Les feuilles sont très parfumées, une senteur fraîche et forestière évoquant les conifères.

La première infusion offre un parfum sucré évoquant humus et sous-bois.
La liqueur est aussi très fluide, mais avec une attaque bien nette dont les arômes donnent une impression forestière. Mais ici ce ne sont pas les notes fraîches de pin,  mais réellement le pôle humus qui domine.
C'est sur la deuxième infusion, alors que le parfum sucré se fait plus crémeux, que l'on ressent ces arômes de bois sec et de pin. Il n'y a toujours pas d'astringence, mais une sensation de fraîcheur plus marquée.
L'after est bien présent, mélange de sensation sucré et umami très discret.
La troisième infusion surprend par son parfum plus léger mais néanmoins complexe, floral, fruité, vanillé.
En bouche c'est toujours un délice velouté qui nous transporte dans ces montagnes de Umegashima. Aucune raison de se priver d'une quatrième infusion.
Ce Yabukita est avant tout bien plus puissant que le zairai. C'est aussi un sencha plus aiguë et dynamique quant le zairai est beaucoup plus rond, tranquille, mais sucré aussi.
Il est finalement impossible de dire lequel est le meilleur, ni même lequel je recommanderais. Ils proviennent tous les deux de la même plantation, un lieu splendide sur une pente entre une rivière et la forêt qui recouvre la montagne. Ils sont à découvrir en même temps. Ces théiers zairai anciens constituent une présence très rare aujourd'hui, précieuse à condition qu'elle soit bien exploitée et comprise. Le zairai n'est pas en soit quelque chose de positif. C'est difficile à produire et peu adapté aux critères contemporains. Pourtant, si on en prend la peine ils peuvent faire des sencha de grande valeur, procurant des sensations différentes de celles produites par les cultivars. J'espère pouvoir chaque année  proposer ce zairai de Umegashima avec au moins la même qualité, peut être même monter encore un peu en grade. 



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