Shizu-Inzatsu 131, un cultivar historique
Cela faisait des années que je ne m'étais pas autant emballé pour un fukamushi-cha. J'en propose peu sur Thés du Japon, mais en voilà un nouveau absolument unique, un thé très particulier de part son mode de fabrication, mais aussi parce qu'il s'agit du cultivar Shizu-Inzatsu 131. C'est un cultivar rare mais pourtant très célèbre, parent de Fuji-kaori ou de Sôfû, c'est presque une légende, autour de laquelle se sont cristallisées depuis plusieurs dizaines d'année les passions.
A partir de l'ère Meiji (1868-1912), le thé devient au Japon une industrie importante en tant que produit d'exportation. Beaucoup d'efforts sont mis en œuvre par le gouvernement pour améliorer la culture du sencha. C'est ainsi que débute la mécanisation de la production, et dès le dernier quart du 19ème siècle commence l'étude et la création de cultivars. C'est au début du 20ème qu'est crée Yabukita. Mais avant cela déjà, le gouvernement avait mis en place un projet de conservation de la variété génétique des plantes, et donc des théiers, qui conduit à rapporter au Japon des graines de nombreux théiers des différents pays producteurs à commencer par la Chine, l'Inde et le Sri Lanka. C'est ainsi que sont développées les premières variétés "inzatsu" (abréviation de "indo-zasshu" 印度雑種", ou hybrides indiens), croisement de variétés autochtones et de variétés indiennes. Ce sont les "variétés inzatsu de Tada" en référence à Tada Motokichi 多田元吉 qui fut envoyer en Chine et en Inde pour ramener des graines, puis de créer ces hybrides en vu de production de thé noir japonais. Benihomare est la plus célèbre, elle sera rès d'un siècle plus tard le parent de Benifûki.
Mais Inzatsu 131 a une origine différente. Toujours dans cette même quête de diversité, en 1922, un scientifique du département thé du centre de recherche agricole de Shizuoka, Maruo Fumio 丸尾文雄 est envoyé en Inde, au Sri Lanka et à Java. Il ramena de Assam des graines de ma variété Manipuli. Si celles-ci arrivèrent au Japon, il n'en fut pas de même pour Maruo qui décéda d'une maladie tropicale sur le chemin du retour à Taiwan.
Les graines furent plantées au centre de recherche, numérotés de 1 à 90. En 1944, à partir d'une graine du Manipuli n°15 est sélectionné et développé ce cultivar hybride Assam et japonais qui sera nommé sous son numéro au centre de recherche, Shizu-Inzatsu 131, et recevant jamais d'autre nom car jamais enregistré officiellement (le système d'enregistrement des cultivars ne commence qu'en 1953, et devinez qui est le n°1 dans la liste ? Benihomare !).
Le responsable de son développement est un personnage extrêmement important dans l'histoire moderne du thé japonais, un visionnaire, souvent incompris, Arima Toshiharu 有馬利治 (1912-1999). Bien que sa spécialité était d'abord le développement des cultivars, sa passion le mena à étudier avec ferveur tous les domaines de la fabrication du thé. Il fut d'abord à partir de 1938 responsable du développement de cultivars à thé noir au centre de recherche de Miyazaki, puis fut muté à Shizuoka en 1942, où il fut encore le responsable du développement des cultivars. Outre 131, il est à l'origine des cultivars issus de graines de Yabukita, de la "fameuse série 7000" 7000番系統, connue pour Shizu-7132, ou encore Yamakai (Shizu-7166). Il quitta le centre en 1960 mais continua son activité autour de thé. Il eut de nombreux disciples et suiveurs (notamment Morizono Ichiji 森園市二, l co-développeur de Fuji-kaori), et laisse l'image d'un homme très humble et accessible, discret, mais qui devenait passionné des qu'on parlait de thé, toujours prêt, sur sa moto (imaginez, cet éminent personnage du centre de recherche, diplômé de l'université de Kyôto !), à se rendre dans telle plantation ou telle usine dès que quelqu'un avait besoin de ses conseils.
Il est intéressant de voir que Inzatsu 131 ne fut pas développé pour un potentiel en tant que thé noir, mais bien cultivar à thé vert. Les documents d'époque le décrive comme "cultivar très hâtif, peu résistant au froid et aux maladies, ayant un parfum très particulier, et adapté à la production de sencha et de tamaryokucha". Il semble néanmoins que Arima y voyait un potentiel surtout pour le kama-iri cha au départ. A l'opposé de la tendance de l'époque, Arima soutenait l'intérêt du flétrissement. Il s'est aussi intéressé de près au fukamushi, s'opposant à d'autres scientifiques quant au raison de la perte du parfum des thés étuvés, etc. S'il fut officiellement promoteur de la diffusion de Yabukita, il semble bien que d'un point de vu personnel, son intérêt se situait bien ailleurs, vers le potentiel de cultivar comme son "bébé" Inzatsu 131. Les qualités de ce cultivar, notamment son caractère, la puissance de son goût et parfums furent bien sûr reconnus, mais le parfum qu'il donne en thé étuvé était trop particulier, et il fut finalement rejeté par beaucoup. Très tôt, Arima sait prévu l'occidentalisation des habitudes alimentaires du Japon, et pour lui, le thé avait donc besoin de cultivar avec du punch et des arômes puissants pour s'adapter à cela. Vu la situation préoccupante du thé japonais au Japon, on ne peut que lui donner raison, mais peut être que les changements prévus ont été moins rapides qu'il ne l'avait pensé, et que tout simplement, Inzatsu 131 et les idées de Arima sont arrivées trop tôt (lorsqu'il commence à distribuer des boutures, le Japon dépend encore de l'aide alimentaire américaine). Il est fort probable par ailleurs que ses idées iconoclastes furent à l'origine de son évincement du centre de recherche dont il fut même un temps le directeur.
A la fin des années 50, il semble néanmoins que Inzatsu connu un peu de succès à Shizuoka. Mais beaucoup l'ont introduit pour faire du kama-iri cha. Le père de Koyanagi Tsutomu (à Fujieda, qui produit le kama-iri cha Fuji-kaori) avait aussi introduit Inzatsu 131 pour en faire du kama-iri, que Tsutomu fabrique encore aujourd'hui.
Mais à Nearai (ville de Hamamatsu), M. Tarui de Nearaimatsu-Meichaen entrepris de le fabriquer en sencha, thé vert étuvé donc, et même fukamushi-cha. M. Tarui fait parti de ces gens qui ont travailler avec Arima. Devant la standardisation que semblait promettre Yabukita, il voulait développer des thés avec de la personnalité et s'est penché sur les cultivars. Ainsi, au centre de recherche dont il était encore le directeur, Arima lui a présenté Inzatsu 131, Shizu-7132 et Yamakai. C'est aussi sur les conseils de ce dernier, pour améliorer le sol des plantations de Nearai, peu propices à faire du bon thé, qu'il introduit dans la terre du schiste vert provenant de Tenryû. Arima avec compris que ces minéraux pouvaient profondément changer le sol. Arima lui a aussi recommandé la culture bio, ainsi que le flétrissement des feuilles.
Mais il n'y a pas que sur ces points que l'influence de Arima est présente dans le thé de Nearaimatsu.
Arima avait d'abord conçu une méthode de malaxage fonctionnant en faisant passer les feuilles entres des roues de tailles différentes exerçant de la pression, passant par plusieurs chambre de séchage, puis malaxé dans un système proche de la quatrième phase de malaxage (seijû) des machines habituelles. Avec cette méthode "ichirenshiki" les feuilles avancent toujours sans attendre de passer d'une phase à une autre. Néanmoins, cette méthode de permettant pas de donner leur forme "traditionnelle" d'aiguille au feuilles, le projet fut interrompu. Ensuite, il mis au point un système de traitement par soufflerie chaude des feuilles après étuvage. Cela est le contraire des lignes de fabrications habituelles où les feuilles sont refroidies avant la malaxage. Le maintien à une température de 80°C des feuilles permettrait d'obtenir un parfum plus fort, alors que la soufflerie enlève complètement tout excès de gouttelettes sur les feuilles après étuvage, et d’obtenir ainsi une liqueur transparente et dorée. En revanche, l'aspect des feuilles est plutôt jaune que vert. Arima aurait voulu combiner les qualités de l'étuvage et du kama-iri, néanmoins, il semble aussi que cette méthode ne s'adaptait pas très bien aux étuvages traditionnels, mais fonctionnait bien avec les feuilles passées longtemps à l'étuve ainsi qu'avec les feuilles ayant subi un flétrissement (on voit un peu les choses se lier entre elles). Il pensait que l'essence du thé était le goût et le parfum, pas la forme. Un concept utilisé pour l’élaboration du fukamushi-cha, mais pas réellement réussi quand on voit la plupart des fukamushi aujourd'hui (fabriqués sur des lignes classiques, conçues à l'origine pour le futsumushi/asamushi), sans parfum, peu fluides, ne donnant guère plus que deux (et encore) bonnes infusions.
Ce fukamushi sencha cultivar Shizu-Inzatsu 131 de Nearai semble au contraire porter les fruits des recherches de Arima Toshihara. En effet, la ligne de l'usine de Nearaimatsu utilise le système de traitement à l'air chaud. De plus, les machines pour malaxer les feuilles sont de type "Akitsu". Ces machines ne sont plus fabriquées aujourd'hui, mais la société Akitsu avait mis au point un système un peu différent des autres (Terada, etc), en travaillant avec Arima après son départ du centre de recherche en 1960. La ligne Akitsu intègre le traitement à l'air chaud, et une circulation continue des feuilles entre chaque machines à la malaxées et jusqu'au séchage final. Dans les lignes classiques de type Terada et Kawasaki, une quantité donnée de feuilles passé un temps définit dans chaque machine, mais avec le système Akitsu les feuilles avancent continuellement au travers des différentes phases. Ce système intégre certes mal la quatrième (et dernière) phase de malaxage (seijû) qui doit donner aux feuilles leur forme d'aiguille, mais après tout, ce n'était pas là un point important dans les travaux de Arima.
Et donc voici ce fukamushi sencha cultivar Inzatsu 131, qui semble être un condensé des recherche de notre explorateur :
On voit des feuilles un peu jaune, et en effet un aspect peu homogène, mais en même temps il ne s'agit pas de "poudre".
Le parfum est très prenant, doux et floral, mais très particulier, typique de Inzatsu 131. Pour moi, c'est un parfum envoûtant.
Pour l'infusion, commencez à 80°C, ce n'est pas un thé (ni un cultivar) qui met en avant l'umami.
Si la liqueur obtenue n'a pas la limpidité de beaux thés montagne, elle reste bien plus belle et transparente que celle des fukamushi classique. Le parfum est là encore riche et complexe. Bien sûr ce parfum tellement unique de Inzatsu peut ne pas plaire, mais en même temps, dans ce fukamushi son côté fleur piquante et enivrante est contrebalancé par des arômes de légumes cuits type petit pois, qui donne au tout une profondeur dans laquelle on se noierait volontiers.
En bouche, il n'y a aucun doute, ce thé à du corps. Pas d'umami ici, de l'astringence, bien prononcée mais pas agressive. On y trouve une foule d'arômes, puis un finish laissant en bouche se floral si particulier.
Incroyable pour un fukamushi, mais ce thé tient aisément 4 infusions. La deuxième est la plus puissante, assez tannique, alors que les troisièmes et quatrièmes se montrent beaucoup plus fluides, faisant la part belles aux arômes et parfums floraux.
Complètement hors-norme, ce thé semble tenir toutes ses promesses, rappelant la ferveur de Arima Toshiharu, depuis le developpement du cultivar, jusqu'aux travaux sur de nouveaux concepts pou la création du thé vert étuvé. Ce sytème Akitsu ne s'est pas répandu, et ces machines ne sont plus fabriquées. Elles semblaient pourtant offrir une réponse de taille à une époque où l'on s'orientait déjà vert la domination du fukamushi, alors qu'il est clair que les lignes classiques de fabrication n'y sont pas adaptées.
Il n'est pas possible de refaire l'histoire, alors pour revenir à ce thé de Nearai, que dire, sinon qu'il est exceptionnel, possédant une personnalité unique, une force incroyable pour un fukamushi-cha, mais aussi qu'il ne plaira pas à tout le monde. Mais c'est thé à essayer absolument, c'est vraiment mon thé du moment.
J'espère en tout cas que le lecteur aura pris plaisir à découvrir tout une partie de l'histoire du thé japonais qui reste un peu trop dans l'ombre, mais montre comment le travail et la passion de quelques hommes a apporté tant à cet univers, Arima étant au travers de Inzatsu 131 et des variétés de la série 7000 l'origine de tellement de saveurs nouvelles ! Inzatsu donnera je le rappelle Sôfû, Fujikaori, Kondô-wase, Kurawasa (Shizu-7111) donnera Kôshun, Yamakai et Shizu-7132 étant les merveilleux cultivars que l'ont connaît.
Il y a quelques année, la NHK avait créé un feuilleton sur sur "Massan", le personnage historique du Whisky japonais, et bien je pense que l'on pourrait faire une superbe saga sur Arima !
Pour cet article je me réfère à l'ouvrage de Iida Tatsuhiko Inzatsu 131 (2014) (飯田辰彦 『印雑一三一 我、日本茶の「正体」を究めたり!』 みやざき文庫110)
A partir de l'ère Meiji (1868-1912), le thé devient au Japon une industrie importante en tant que produit d'exportation. Beaucoup d'efforts sont mis en œuvre par le gouvernement pour améliorer la culture du sencha. C'est ainsi que débute la mécanisation de la production, et dès le dernier quart du 19ème siècle commence l'étude et la création de cultivars. C'est au début du 20ème qu'est crée Yabukita. Mais avant cela déjà, le gouvernement avait mis en place un projet de conservation de la variété génétique des plantes, et donc des théiers, qui conduit à rapporter au Japon des graines de nombreux théiers des différents pays producteurs à commencer par la Chine, l'Inde et le Sri Lanka. C'est ainsi que sont développées les premières variétés "inzatsu" (abréviation de "indo-zasshu" 印度雑種", ou hybrides indiens), croisement de variétés autochtones et de variétés indiennes. Ce sont les "variétés inzatsu de Tada" en référence à Tada Motokichi 多田元吉 qui fut envoyer en Chine et en Inde pour ramener des graines, puis de créer ces hybrides en vu de production de thé noir japonais. Benihomare est la plus célèbre, elle sera rès d'un siècle plus tard le parent de Benifûki.
Mais Inzatsu 131 a une origine différente. Toujours dans cette même quête de diversité, en 1922, un scientifique du département thé du centre de recherche agricole de Shizuoka, Maruo Fumio 丸尾文雄 est envoyé en Inde, au Sri Lanka et à Java. Il ramena de Assam des graines de ma variété Manipuli. Si celles-ci arrivèrent au Japon, il n'en fut pas de même pour Maruo qui décéda d'une maladie tropicale sur le chemin du retour à Taiwan.
Les graines furent plantées au centre de recherche, numérotés de 1 à 90. En 1944, à partir d'une graine du Manipuli n°15 est sélectionné et développé ce cultivar hybride Assam et japonais qui sera nommé sous son numéro au centre de recherche, Shizu-Inzatsu 131, et recevant jamais d'autre nom car jamais enregistré officiellement (le système d'enregistrement des cultivars ne commence qu'en 1953, et devinez qui est le n°1 dans la liste ? Benihomare !).
Le responsable de son développement est un personnage extrêmement important dans l'histoire moderne du thé japonais, un visionnaire, souvent incompris, Arima Toshiharu 有馬利治 (1912-1999). Bien que sa spécialité était d'abord le développement des cultivars, sa passion le mena à étudier avec ferveur tous les domaines de la fabrication du thé. Il fut d'abord à partir de 1938 responsable du développement de cultivars à thé noir au centre de recherche de Miyazaki, puis fut muté à Shizuoka en 1942, où il fut encore le responsable du développement des cultivars. Outre 131, il est à l'origine des cultivars issus de graines de Yabukita, de la "fameuse série 7000" 7000番系統, connue pour Shizu-7132, ou encore Yamakai (Shizu-7166). Il quitta le centre en 1960 mais continua son activité autour de thé. Il eut de nombreux disciples et suiveurs (notamment Morizono Ichiji 森園市二, l co-développeur de Fuji-kaori), et laisse l'image d'un homme très humble et accessible, discret, mais qui devenait passionné des qu'on parlait de thé, toujours prêt, sur sa moto (imaginez, cet éminent personnage du centre de recherche, diplômé de l'université de Kyôto !), à se rendre dans telle plantation ou telle usine dès que quelqu'un avait besoin de ses conseils.
Il est intéressant de voir que Inzatsu 131 ne fut pas développé pour un potentiel en tant que thé noir, mais bien cultivar à thé vert. Les documents d'époque le décrive comme "cultivar très hâtif, peu résistant au froid et aux maladies, ayant un parfum très particulier, et adapté à la production de sencha et de tamaryokucha". Il semble néanmoins que Arima y voyait un potentiel surtout pour le kama-iri cha au départ. A l'opposé de la tendance de l'époque, Arima soutenait l'intérêt du flétrissement. Il s'est aussi intéressé de près au fukamushi, s'opposant à d'autres scientifiques quant au raison de la perte du parfum des thés étuvés, etc. S'il fut officiellement promoteur de la diffusion de Yabukita, il semble bien que d'un point de vu personnel, son intérêt se situait bien ailleurs, vers le potentiel de cultivar comme son "bébé" Inzatsu 131. Les qualités de ce cultivar, notamment son caractère, la puissance de son goût et parfums furent bien sûr reconnus, mais le parfum qu'il donne en thé étuvé était trop particulier, et il fut finalement rejeté par beaucoup. Très tôt, Arima sait prévu l'occidentalisation des habitudes alimentaires du Japon, et pour lui, le thé avait donc besoin de cultivar avec du punch et des arômes puissants pour s'adapter à cela. Vu la situation préoccupante du thé japonais au Japon, on ne peut que lui donner raison, mais peut être que les changements prévus ont été moins rapides qu'il ne l'avait pensé, et que tout simplement, Inzatsu 131 et les idées de Arima sont arrivées trop tôt (lorsqu'il commence à distribuer des boutures, le Japon dépend encore de l'aide alimentaire américaine). Il est fort probable par ailleurs que ses idées iconoclastes furent à l'origine de son évincement du centre de recherche dont il fut même un temps le directeur.
A la fin des années 50, il semble néanmoins que Inzatsu connu un peu de succès à Shizuoka. Mais beaucoup l'ont introduit pour faire du kama-iri cha. Le père de Koyanagi Tsutomu (à Fujieda, qui produit le kama-iri cha Fuji-kaori) avait aussi introduit Inzatsu 131 pour en faire du kama-iri, que Tsutomu fabrique encore aujourd'hui.
Mais à Nearai (ville de Hamamatsu), M. Tarui de Nearaimatsu-Meichaen entrepris de le fabriquer en sencha, thé vert étuvé donc, et même fukamushi-cha. M. Tarui fait parti de ces gens qui ont travailler avec Arima. Devant la standardisation que semblait promettre Yabukita, il voulait développer des thés avec de la personnalité et s'est penché sur les cultivars. Ainsi, au centre de recherche dont il était encore le directeur, Arima lui a présenté Inzatsu 131, Shizu-7132 et Yamakai. C'est aussi sur les conseils de ce dernier, pour améliorer le sol des plantations de Nearai, peu propices à faire du bon thé, qu'il introduit dans la terre du schiste vert provenant de Tenryû. Arima avec compris que ces minéraux pouvaient profondément changer le sol. Arima lui a aussi recommandé la culture bio, ainsi que le flétrissement des feuilles.
Mais il n'y a pas que sur ces points que l'influence de Arima est présente dans le thé de Nearaimatsu.
Arima avait d'abord conçu une méthode de malaxage fonctionnant en faisant passer les feuilles entres des roues de tailles différentes exerçant de la pression, passant par plusieurs chambre de séchage, puis malaxé dans un système proche de la quatrième phase de malaxage (seijû) des machines habituelles. Avec cette méthode "ichirenshiki" les feuilles avancent toujours sans attendre de passer d'une phase à une autre. Néanmoins, cette méthode de permettant pas de donner leur forme "traditionnelle" d'aiguille au feuilles, le projet fut interrompu. Ensuite, il mis au point un système de traitement par soufflerie chaude des feuilles après étuvage. Cela est le contraire des lignes de fabrications habituelles où les feuilles sont refroidies avant la malaxage. Le maintien à une température de 80°C des feuilles permettrait d'obtenir un parfum plus fort, alors que la soufflerie enlève complètement tout excès de gouttelettes sur les feuilles après étuvage, et d’obtenir ainsi une liqueur transparente et dorée. En revanche, l'aspect des feuilles est plutôt jaune que vert. Arima aurait voulu combiner les qualités de l'étuvage et du kama-iri, néanmoins, il semble aussi que cette méthode ne s'adaptait pas très bien aux étuvages traditionnels, mais fonctionnait bien avec les feuilles passées longtemps à l'étuve ainsi qu'avec les feuilles ayant subi un flétrissement (on voit un peu les choses se lier entre elles). Il pensait que l'essence du thé était le goût et le parfum, pas la forme. Un concept utilisé pour l’élaboration du fukamushi-cha, mais pas réellement réussi quand on voit la plupart des fukamushi aujourd'hui (fabriqués sur des lignes classiques, conçues à l'origine pour le futsumushi/asamushi), sans parfum, peu fluides, ne donnant guère plus que deux (et encore) bonnes infusions.
Ce fukamushi sencha cultivar Shizu-Inzatsu 131 de Nearai semble au contraire porter les fruits des recherches de Arima Toshihara. En effet, la ligne de l'usine de Nearaimatsu utilise le système de traitement à l'air chaud. De plus, les machines pour malaxer les feuilles sont de type "Akitsu". Ces machines ne sont plus fabriquées aujourd'hui, mais la société Akitsu avait mis au point un système un peu différent des autres (Terada, etc), en travaillant avec Arima après son départ du centre de recherche en 1960. La ligne Akitsu intègre le traitement à l'air chaud, et une circulation continue des feuilles entre chaque machines à la malaxées et jusqu'au séchage final. Dans les lignes classiques de type Terada et Kawasaki, une quantité donnée de feuilles passé un temps définit dans chaque machine, mais avec le système Akitsu les feuilles avancent continuellement au travers des différentes phases. Ce système intégre certes mal la quatrième (et dernière) phase de malaxage (seijû) qui doit donner aux feuilles leur forme d'aiguille, mais après tout, ce n'était pas là un point important dans les travaux de Arima.
Et donc voici ce fukamushi sencha cultivar Inzatsu 131, qui semble être un condensé des recherche de notre explorateur :
On voit des feuilles un peu jaune, et en effet un aspect peu homogène, mais en même temps il ne s'agit pas de "poudre".
Le parfum est très prenant, doux et floral, mais très particulier, typique de Inzatsu 131. Pour moi, c'est un parfum envoûtant.
Pour l'infusion, commencez à 80°C, ce n'est pas un thé (ni un cultivar) qui met en avant l'umami.
Si la liqueur obtenue n'a pas la limpidité de beaux thés montagne, elle reste bien plus belle et transparente que celle des fukamushi classique. Le parfum est là encore riche et complexe. Bien sûr ce parfum tellement unique de Inzatsu peut ne pas plaire, mais en même temps, dans ce fukamushi son côté fleur piquante et enivrante est contrebalancé par des arômes de légumes cuits type petit pois, qui donne au tout une profondeur dans laquelle on se noierait volontiers.
En bouche, il n'y a aucun doute, ce thé à du corps. Pas d'umami ici, de l'astringence, bien prononcée mais pas agressive. On y trouve une foule d'arômes, puis un finish laissant en bouche se floral si particulier.
Incroyable pour un fukamushi, mais ce thé tient aisément 4 infusions. La deuxième est la plus puissante, assez tannique, alors que les troisièmes et quatrièmes se montrent beaucoup plus fluides, faisant la part belles aux arômes et parfums floraux.
Complètement hors-norme, ce thé semble tenir toutes ses promesses, rappelant la ferveur de Arima Toshiharu, depuis le developpement du cultivar, jusqu'aux travaux sur de nouveaux concepts pou la création du thé vert étuvé. Ce sytème Akitsu ne s'est pas répandu, et ces machines ne sont plus fabriquées. Elles semblaient pourtant offrir une réponse de taille à une époque où l'on s'orientait déjà vert la domination du fukamushi, alors qu'il est clair que les lignes classiques de fabrication n'y sont pas adaptées.
Il n'est pas possible de refaire l'histoire, alors pour revenir à ce thé de Nearai, que dire, sinon qu'il est exceptionnel, possédant une personnalité unique, une force incroyable pour un fukamushi-cha, mais aussi qu'il ne plaira pas à tout le monde. Mais c'est thé à essayer absolument, c'est vraiment mon thé du moment.
J'espère en tout cas que le lecteur aura pris plaisir à découvrir tout une partie de l'histoire du thé japonais qui reste un peu trop dans l'ombre, mais montre comment le travail et la passion de quelques hommes a apporté tant à cet univers, Arima étant au travers de Inzatsu 131 et des variétés de la série 7000 l'origine de tellement de saveurs nouvelles ! Inzatsu donnera je le rappelle Sôfû, Fujikaori, Kondô-wase, Kurawasa (Shizu-7111) donnera Kôshun, Yamakai et Shizu-7132 étant les merveilleux cultivars que l'ont connaît.
Il y a quelques année, la NHK avait créé un feuilleton sur sur "Massan", le personnage historique du Whisky japonais, et bien je pense que l'on pourrait faire une superbe saga sur Arima !
Pour cet article je me réfère à l'ouvrage de Iida Tatsuhiko Inzatsu 131 (2014) (飯田辰彦 『印雑一三一 我、日本茶の「正体」を究めたり!』 みやざき文庫110)
Merveilleux article pour ce thé que je viens juste de recevoir et découvrir !
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