Les thés de Umegashima

 Cela fait maintenant quelques années que je travaille avec une passion particulière sur les thés de Umegashima. Il s'agit d'une des zones de production des thés dits de Hon.yama (la région de montagne au nord de la ville de Shizuoka), la plus en amont le long du fleuve Abe-gawa.
 

Tout en étant très réputées des connaisseurs, Umegashima est plus encore que le reste de Hon.yama en crise, sans aucun successeur, et de plus en plus de plantations à l'abandon. Phénomène commun aux thés de montagne de Shizuoka, ces thés arrivant tard sur le marché, même de haute qualité, ils se vendent à des prix trop bas. Ils sont aussi aux antipodes des standards modernes des thés japonais, où ombrage et étuvage long (fukamushi) semblent incontournables. Ainsi, on n'y pratique plus qu'une seule récolte, de printemps bien sûr, les autres coûteraient plus cher à produire que ce qu'elles pourraient rapporter.  Cela est bien dommage car c'est dans ce type de zone de production que l'on peut réellement ressentir tous les effets d'un terroir au delà des seules méthodes de production.

Depuis quelques années donc, je sélectionne directement à l'état de thé brut "aracha" ces thés de Umegashima, avec des lots de différentes plantations, de différents jours de production aussi. Cela avait commencé avec cette vieille plantation de théiers zairai (arbustes indigènes, issus de graines diverses) de Nyûjima, puis des Yabukita du même lieu.




Cette année, et pour la première fois depuis de très nombreuses années, le producteur a fait une partie en récolte manuelle pour le Yabukita, ce qui tombait bien, aucuns des lots en récolte mécanique ne m'ayant charmé cette année. C'est un sencha à la fois fluide et épais, très velouté en quelque sorte, sans astringence, rond, minéral et élégamment sucré. Avec des notes de sous-bois, il possède un caractère fruité puissant et très long en bouche en finish. 

Pour plus de détails au sujet de l'extraordinaire zairai, le lecteur pourra rechercher les articles anciens, ou simplement la description sur Thés du Japon. Très beau encore cette année, comme l'an dernier où je dirais qu'on avait enfin atteint le but recherché d'un vrai bon thé zairai (et non pas d'un gros thé "rustique" qui fait passer les caractéristiques d'un bancha pour celles d'un zairai), voilà un thé rafraîchissant, léger mais avec un umami subtil qui structure bien l'infusion, et de bons arômes fruités. 

Celui de la petite plantation de Fujishiro et le plus végétal de tous (sans que la torréfaction soit spécialement plus faible), avec une sensation beurrée qui le distingue clairement du reste. 

 



Les nouveautés cette année ce sont les thés de Tomochi. A près de 800 m d'altitude c'est une des zones les plus élevées à Umegashima, et même au Japon puisqu'on ne trouve quasiment rien au dessus de cette altitude. En fait il s'agit d'une plantation dont le propriétaire a pris l'an dernier sa retraite. Chose rare à Umegashima, il y a des cultivars autres que Yabukita : Kanaya-midori et Sayama-kaori. Ayant appris la chose, j'ai demandé au producteur avec qui je travaille de s'occuper de cette plantation pour me faire le Sayama-kaori. Dans le même temps il a aussi fait le Yabukita de Tomochi et voici ces deux excellents et rares sencha sur Thés du Japon. 

Outre sa rondeur très agréable, le Yabukita est très aromatique avec un mélange floral et fruité, quelque chose de parfumerie, qui me semble bien représenter Umegashima, ici particulièrement claire et puissant. De tous ces thés, c'est pour moi cette année le meilleur.

Le Sayama-kaori est aussi une belle réussite. D'abord, à la simple vue de l'échantillon de thé brut, j'avais été un peu circonspect devant la taille des feuilles, clairement la récolte était trop tardive, et en effet, le producteur, pour qui Sayama-kaori était une première, a fait la récolte le même jour que Yabukita, alors que Sayama-kaori est deux jours plus hâtif que Yabukita. Pourtant, la dégustation m'a fait découvrir un très bon thé, au delà même de mes espérances. Pas d'odeur de feuilles trop tardives, et surtout les caractéristiques de ce cultivar, ce parfum de violette, de parfumerie si particulier est très intense. Cela me confirme dans l'idée que Sayama-kaori est, dans de bonnes conditions, un cultivar des plus intéressants, et qu'il est dommage qu'il soit si déprécié de nos jours. 

J'évoque aussi rapidement le Yabukita de Shinden, le seul qui provienne d'un autre producteur et dont je fais faire le raffinage par un autre professionnel, plus typique de Shizuoka, avec une torréfaction plus forte. C'est un sencha aux arômes sucrés très profonds, qui évoquent les céréales, la poudre de soja sucrée kinako, etc. 

 En bref, si Umegashima est une région productrice tout à fait particulière, avec ses propres caractéristiques probablement différentes de celles de Tamakawa par exemple aussi à Hon.yama, ou plus clairement différentes de Kawane, il n'en reste pas moins que l'on pourrait dire la même chose d'autres zones de production souvent en difficulté ou au moins peu connu en regards de ses qualités ; à avoir que l'on a là un terroir, ce qui inclus bien sûr les modes de production au sens large, mais aussi l'environnement là encore au sens large, qui se ressent dans le thé qui est produit, en sommes que ces thés ne peuvent pas être reproduit ailleurs. Au delà des goûts et préférences de chacun il me semble quand que cela est très important alors que la majorité des thés ou régions productrices qui semblent aujourd'hui jouir d'un succès important, au Japon comme à l'étranger, le sont pour des thés extrêmement communs, au contraire reproduisibles partout, ce qui n'enlève rien à leur qualité intrinsèque, mais continue dans la voie de la standardisation qui jusqu'à présent n'a pas vraiment pousser le thé japonais vers un futur brillant. 

Y aura-t-il toujours du thé à Umegashima dans 10 ans ? dans 20 ans ? au rythme où vont les choses, non. Alors, aussi petite soit-elle, j'espère apporter ma pièce à l'édifice.






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