De savants cocktails

Au Japon, la majorité des thés mis sur le marché aussi bien par les grosses boîtes que par les plus petites des boutiques sont ce que l'on appelle des gôgumi 合組み, c'est à dire des "assemblages", ou pour être plus clair, des mélanges, bref, des blends.
A ce mots je vois d'ici des visages se crisper, d'autres afficher des expressions de dédains. Je dois avouer que mon propre visage à longtemps montrer les mêmes symptômes au son du mot "blend".

Il n'y a pourtant aucune raison de tirer une telle tronche... Même les meilleurs des Champagnes ne sont-ils pas faits à partir de blends de raisin ? (c'est vraiment une question, je ne suis pas certain de ce que j'avance là)

Les blends de thé japonais peuvent aussi bien réunir deux thés issus de deux champs voisins qu'une dizaine de thés issus de tout le pays. Ils n'ont pas le but de tromper le consommateur, en tout cas dans l'état actuelles des législations sur l'étiquetage et les appellations du thé au Japon, lesdites législations ayant mis de l'ordre là-dedans depuis quelques années, pas si longtemps en fait.

Pour pouvoir être vendu en tant que "thé de XXX", un produit doit être composé à 100% de thé(s) produit(s) à XXX (que XXX désigne un département comme Shizuoka par exemple, ou une région plus restreinte, comme Kawane par exemple). Bien sûr, il peut néanmoins s'agir d'un blend, mais d'un blend composé uniquement de thés produits à XXX.
Si un produit est composé à plus de 50% de thés produits à XXX, et le reste de thés de YYY, ZZZ, AAA, il peut porter le nom de "thé de XXX", mais l'étiquette doit clairement afficher qu'il s'agit d'un blend, genre "thé de XXX, blend".
Donc, en principe, aujourd'hui, plus d'arnaque.
Seule petite ambiguïté, le cas d'Uji. Uji évoque tout de suite le thé de Kyôto. C'est une marque, un nom prestigieux qui fait vendre. Or, la production du seul département de Kyôto est relativement faible, et le thé produit dans une partie des départements de Mie et de Nara, peuvent recevoir l'appellation de "thé d'Uji" (mais pas de Kyôto, attention !).

Par ailleurs, un certain nombre d'appellation désigne l'ensemble des thés produits dans un département. Par exemple, Sayama 狭山 désigne d'une manière générale le thé produit dans le département de Saitama, et pas spécialement le thé produit dans la ville de Sayama. 

Mais l'important reste de comprendre l'utilité, le rôle premier du blend.
Il s'agit de pouvoir fournir un produit identique au fil des années. Le thé est un produit agricole, et il est évident qu'un seul et même champs donnera chaque année un thé plus ou moins différent. Or le consommateur moyen de thé au Japon, achète dans la même boutique, toujours le même produit, depuis longtemps, et il compte bien continuer pendant longtemps. Il est inadmissible que ce produit puisse changer de goût. Donc, on créer des blends, en dosant habillement la proportion d'un certain nombre de thé, on arrive à obtenir toujours un produit qui à le même goût. Blender est un métier admirable, qui nécessite un savoir faire phénoménale.
L'incohérence, c'est que que ce même consommateur n'a pas du tout envie d'entendre que son thé est un blend. Enfin bref,  je ne vais pas encore me relancer dans la description de l'incroyable ignorance des japonais du thé...

Un blend d'excellents thés donnera un produit excellent, mais si un blend de mauvais thés peut donner un mauvais produit, un blender de talent pourra nous concocter un bon produit avec des thés sinon mauvais, disons pas géniaux.

Aussi, nombreux sont les amateurs de thé japonais qui pensent qu'un blend a plus de profondeur et de subtilité dans ses saveurs et ses parfums qu'un "single tea". C'est parfois vrai.
Mais au delà de cette complexité des saveurs, j'ai depuis que je travaille chez Maruyama-en ouvert les yeux sur les possibilités du blend en matière de préparation. En connaissant les produits qui compose ces savants mélanges, on voit comment les possibilités de combinaison de température de l'eau et de temps d'infusion sont multipliés, jouant sur les qualités différentes des thés qui composent le cocktail, en particulier dans le cas de produits composés de thé très différents issu de régions productrices différentes.

Je dis cela, mais pour ma part je continue à préférer les "single tea", dans ma quête de thés rares et de cultivar passionnant. Seulement, il faut reconnaître les qualités respectives de chacune des parties, et je ne fait plus la grimace.
Et rien n'interdit de jouer à l'apprenti sorcier en composant à la maison ses petits cocktails de thé perso...... 1 gramme de celui-ci, 2 de celui-là ....... Risqué ? peut être, oui, mais allez ! demain je me lance !

Commentaires

  1. Merci pour cet éclairage sur une pratique que je ne pensais pas avoir touché le Japon. Je m'imaginai un peu naïvement les blends limités à certaines productions d'Inde, de Ceylan ou de Chine à destination de l'occident.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés