Cela fait longtemps que je ne me suis livrée à mes
petites réflexions sur le thé au Japon. En voici d'actualité, avec la question
de la course au shincha.
Il y a au Japon une ferveur particulière pour ce qui est
nouveau, pour les produits de saison, que l'on dit "shun" 旬. Cela est
particulièrement vrai dans la région de Tôkyô. Ainsi, on fait la course au thé
nouveau. Le département de Kagoshima, de par sa position géographique
méridionale a fait le choix de miser sur des cultivars hâtifs, Yutaka-midori en
premier, pour être le plus en avance sur le marché. La petite île de
Tanegashima, plus au sud encore, mise sur des cultivars encore plus hâtifs.
De cette manière, détaillants et grossistes commencent au
plus tôt leur saison avec les thés de Kagoshima, essentiellement de l'énorme
région productrice en plaine de Minami Satsuma (Makurazaki, Chiran, etc) qui
donne les plus hâtifs (si l'on fait exception de Tanegashima et Yakushima) et
la majorité de la production du département. Cette petite course bat son plein
chaque année, et c'est parfait sauf quand il y a incident de parcours. Cette
année, au début du mois d'avril, une formidable tempête a frappé tout le Japon,
faisant entre autre de gros dégâts sur les jeunes feuilles des théiers hâtifs du sud de Kagoshima. Ainsi, outre le retard dû à l'hiver long, tout ce qui
sort sur le marché de ces produits hâtifs est de mauvaise qualité.
En effet, le premier shincha de chez Y., à 2000 JPY,
sorti bien avant l'équivalent chez les autres chaines, est assez lamentable. Le
2000 JPY de Maruyama-en, plutôt en dessous en comparaison des années précédentes
reste juste acceptable, en revanche, le 1500, arrivé en boutique ce matin est
une véritable horreur. J'ai eu beau le préparer de différentes manières, mais
c'est toujours la même chose, une saveur sucrée arrive en bouche mais disparait
en une seconde pour laisser la place à des saveurs parasites piquantes et
amères. C'est comme un exemple fait pour montrer ce que donne un thé fabriqué
avec des feuilles abimées !
Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Pour toutes ces
chaines, il est difficile de se placer face à la concurrence si le shincha
arrive trop en retard, mais quand cette course au primeur se fait au détriment
de la qualité, on peut avoir de sérieux doutes.
Être Nihoncha Instructor est un très beau sésame qui
permet d'être mis en relation avec la crème des professionnels, des gens
sérieux et très exigent, qui ne sont généralement pas très pressés de mettre la
main sur le premières choses arrivant sur le marché. Pas de course au shincha,
mais une course à la qualité. Certes les thés hâtifs passent à la trappe, mais
il y aura de bonnes choses après dans les grandes plaines du sud de Kagoshima,
et le 20, les récoltes manuelles ont commencées dans les montagnes de Kirishima.
En même, le risque sur les marchés, c'est de trop
attendre, attendre, et finalement, rien de meilleur ne vient. Durs dilemmes !
Bien sûr, on voudrait bien avoir rapidement des thés
nouveaux à proposer aux clients qui attendent, mais le thé de ce matin refroidi
les ardeurs, il apprend la patience. Après tout, le thé est un produit de la nature.
Surtout que l'idée du "shincha, saveurs dont on ne
peut se délecter qu'au printemps" est fortement ancrée dans les esprits,
mais est pourtant bien obsolète avec les techniques modernes de conservation.