Le thé noir au Japon (màj nécessaire)
Cela fait près de treize ans que j’ai commencé ce blog, si bien qu’un certain nombre d’articles ne sont plus d’actualité, et même si je fais de petites mises à jour de temps à autre dans les articles « de référence » (c’est à dire ceux dont je conserve les liens dans la barre latérale) beaucoup méritent d’être réécrits.
Voici donc une somme plus d’actualité sur un genre que beaucoup ignorent, les thés noir japonais, qu'on appellent souvent ici "wakôcha" (和紅茶). Si ceux-ci ne représentent qu’une part infime de la production de thé au Japon, il n’en reste pas moins que depuis les années 2010, il s’agit probablement du domaine qui bouge le plus au Japon, passant d’une production encore très médiocre dans les années 2000 à une production très intéressante, parfois même d’une immense qualité depuis quelques années.
Il ne faut néanmoins pas croire que la production de thé noir au Japon soit une
nouveauté.
C’est une part particulièrement passionnante et étonnante pour beaucoup, mais l’industrie
du thé au Japon se développe et évolue rapidement durant la 2ème partie du
19ème (mécanisation, prémices des cépages, concours, etc), essentiellement
autour du sencha comme produit d'exportation vers l'occident, les États-Unis
notamment. Si cette entreprise fut un grand succès, les autorités ne pouvaient
ignorer la demande de plus en plus important en occident pour le thé noir.
Ainsi, le gouvernement entreprit de mettre en place une production de thé noir
au Japon, or pour cela il fallait se prémunir des techniques nécessaires. La
première tentative fut de faire venir des spécialistes chinois pour diriger la
production. Le thé ainsi produit ne réussit pas à convaincre les négociants
étrangers. En 1875 et 1876, Tada Motokichi, ancien guerrier vassal du Shogun
Tokogawa reconverti dans la production de thé à Mariko (Shizuoka) après la
restauration impériale de Meiji de 1868, fut envoyé par le gouvernement en
Chine puis en Inde et à Ceylan pour y étudier les techniques de production de
thé noir.
Il rapporta aussi des graines de Assam à partir desquelles fut sélectionné le
tout premier cultivar japonais à thé noir que l'on connaît aujourd'hui sous le
nom de Benihomaré. Tada Motokichi est considéré comme le père du thé noir
japonais.
Dans les années
30, durant la période de grande crise économique mondiale, le Japon profite des
restrictions sur l'exportation du thé en vigueur en Inde, pour exporter son thé
noir, environ 6400 tonnes en 1932. Pourtant, malgré des efforts constants
durant le 20ème siècle et jusqu'à la fin des années 60, le Japon ne réussit
jamais à s'imposer comme un acteur significatif dans le monde du thé noir.
En 1953, lorsque l'on procède pour la première fois à un enregistrement
officiel des cultivars, 5 parmi les 15 sont des cépages à thé noir (Benihomare,
Indo, Hatsu-momiji, Benitachiwase, Akane). Pourtant, alors qu'une centaine de
cépages sont enregistrés aujourd'hui, seuls cinq cépages à thé noir
supplémentaires le seront ensuite (Benikaori, Benifuji et Satsumabeni en 1960,
Benihikari en 1969, et enfin le célèbre Benifûki en 1993). Bref, on voit les
efforts, vains, s’essouffler. Karabeni, issu de sélection à Shizuoka parmi des
graines introduites du Hubei en Chine dans les années 60 n’est pas enregistré
(au même moment à partir de ces graines, on sélectionne à Miyazaki le cultivar
Yamanami pour le kamairicha), de même que Benitsukuba plus (unique cultivar
créé à Ibaraki).
Après-guerre, et jusqu'en 1971, le japonais contrôle le commerce international
du thé et impose ainsi aux entreprises japonaises d'acheter du thé noir produit
au Japon pour pouvoir importer du thé noir étranger (de meilleur qualité, et
bien sûr moins cher). Lorsque que le gouvernement mais fin à ce système, le thé
noir produit localement n’est plus nécessaire, et sa production isparaît brusquement
et presque complètement.
Cette production de thé noir était alors soutenu artificiellement (puisque
personne n'en voulait réellement), et était le fruit de deuxièmes récoltes. En
clair, du thé noir produit avec des plantations entretenus dans le but premier
de faire du sencha (importance donc de l’umami). Il était de toute façon
difficile dans ces conditions de faire du bon thé noir.
Le mini-drame dans cette affaire c'est que Benihikari, tout juste sorti des
centres de recherche ne put connaître la gloire alors qu'on y voyait beaucoup
de qualités.
Bien sûr le développement des cultivars à thé noir s'arrête alors. Ainsi
Benifûki fut le dernier à être créer. Il faut compter plus de 20 ans pour
arriver à enregistrer un cultivar, ce qui nous amène donc en 1993 alors qu'il
fut sélectionné en 1965 à partir d'un croisement entre Benihomare et un théier
issu d'une graine provenant de de Darjeeling.
Alors qu'il fut enregistré à une époque où la production de thé noir au Japon
est presque nulle, ce qui a permis à Benifûki de devenir de manière écrasante
le plus utilisé de ces cépages n'est pas sa qualité en tant que thé noir, mais
son important taux de catéchine méthyl supposé avoir des effets sur les
allergies, mis en évidence en 1999. C'est ainsi que ce cépage commence à se
répandre peu à peu, non pas pour faire du thé noir, mais du thé vert (les
catéchines s'oxydent et disparaissent lors de la fabrication du thé noir).
Parallèlement à cela une poignée d'irréductibles continue de s'efforcer à
fabriquer du thé noir en visant tant bien que mal une certaine qualité. On
commence à voir poindre un intérêt pour le thé noir japonais, qu'on commence à
appeler wakôcha, parfois jikôcha vers le milieu des années 2000. Mais c'est
depuis seulement quelques années, que l'on voit enfin des wakôcha de qualité,
avec une variété importante, mettant à profit aussi bien des cultivars à thé
noir (type « beni ») que des cultivars à thé vert s’y prêtant bien (Kôshun,
Minami-sayaka, ou encore le phénoménal Izumi).
Si ces produits vraiment délectables semblent provenir essentiellement de
productions à petite échelle difficile à reproduire à plus grande échelle, cela
ne me semble pas un problème. Je pense que le Japon doit rester le pays du thé
vert (étuvé même), et que la production de thé noir n'a d'intérêt que si elle
est de qualité élevée (et bien sûr avec des caractéristiques typiquement
japonaises). Un thé noir de très grande qualité peut de plus s'avérer une aide
particulièrement intéressante pour des producteurs de régions méconnues. Le thé
noir devient le médium qui les mets en avant leur permettant ainsi de présenter
aussi leur sencha par exemple.
Il faut noter l’apparition de plusieurs évènements et concours annuels autour du thé noir japonais, organiser non pas par des spécialistes du thé japonais, mais par des spécialistes du thé noir, montrant la reconnaissance acquise par les wakôcha.
Néanmoins, nous n'en sommes encore qu'à mi-chemin, et beaucoup reste à faire.
C'est un sujet passionnant ! Et c'est agréable de voir le monde du thé bouger, même de loin.
RépondreSupprimerNiveau machinerie, est-ce que les agriculteurs s'équipent de machines particulières ? Sinon, comment se fait le flétrissage ?
Pour le roulage j'imagine que cela peut se faire via certaines déjà présentes dans les usines.
Je découvre ce monde des thés noirs du japonais, j'espère qu'on continuera à boire des choses bonnes et intéressantes