Aborder le gyokuro

A l'occasion de l'arrivée sur Thés du Japon de la sélection 2017 de gyokuro, il est bon de revenir sur ce genre de thé japonais, dont le nom est ultra connu mais bien souvent trop mal compris.

La plus importante erreur est celle qui fait prendre le gyokuro pour un thé japonais supérieur, en somme, de penser que le sencha est le thé vert de qualité moyenne, et le gyokuro celui de qualité supérieure. Or, ces deux types de thé ne doivent et ne peuvent pas être comparer de manière verticale. Si le gyokuro se distingue par son mode de culture, c'est plus encore par son mode de consommation que le gyokuro diffère du sencha. Il s'apprécie de manière différente, j'entends par là que sa méthode de préparation en fait quelque chose qui le place dans un domaine à part.
Acheter un gyokuro plutôt qu'un sencha en pensant être sûr alors d'avoir un thé de qualité montre une incompréhension de ce genre. En effet, si le gyokuro est préparé et abordé de la même manière qu'un sencha, le résultat sera très mauvais, ne permettant nullement d'apprécier les caractéristiques et qualités très particulières de ce type de thé très typiquement japonais.

Même en sachant comment l'aborder, le gyokuro peut paraître à beaucoup difficile d'accès, un peu rebutant, et cela n'est pas faux. Le gyokuro possède certes une palette de possibilités moins large que le sencha, et il y a un effort, un premier pas à faire pour aller vers lui. Pourtant, une fois le doigt mis dans l'engrenage, c'est tout un univers qui s'ouvre, des sensations que l'on ne retrouve dans aucun autre type de thé japonais ou autre. L'idée du thé de luxe, bu de manière très exceptionnelle disparaît, et on fini même par l'envisager pour le quotidien, comme une possibilité offerte parmi tous les types de thés. J'y prends pour ma part un plaisir immense que je n'aurais pourtant jamais imaginé il y a quelques années encore.

Définition
 Il est difficile de définir clairement ce qu'est le gyokuro. En effet, comme pour le tencha (matériau brut non moulu du matcha), il n'y a pas de norme clairement définie assez précise. Pourtant on trouve généralement qu'il s'agit d'un thé produit en plantation ombrée. L'ombrage doit en principe être fait sous tonnelle / ombrière ("tana-gake"), structure de 180-200 cm de hauteur permettant l'ombrage à l'aide de fibres synthétiques ou de store en bambou et de paille. L'ombrage de type tunnel ou directement posé sur les théiers sont en principe exclus.
Au moment de l'ouverture de la seconde feuille, l'ombrage débute, avec la lumière coupée à 80-85%, puis au bout de dix jours, une deuxième couche (ni-jû-kake) filtre 95% de la lumière, pour encore 10 jours. Néanmoins, dans bien des cas, l'ombrage est plus long, jusqu'à un mois parfois. L'ombrage est aussi parfois limité à une seule couche seulement.
Pour rester dans un définition très stricte, les théiers sont non taillés (shizen-shitate) et par conséquent la récolte ne peut être que manuelle, et une seconde récolte est exclue. Pourtant, plus abordables, des plantations sous tonnelle mais taillées, avec récolte mécanique, donnent aussi de très bons produits, suffisamment typiques.
C'est définition peut grosso-modo s'appliquer au tencha.


Pourtant, on trouvera sur le marché de nombreux gyokuro issus de plantations en ombrage direct, pour un résultat beaucoup moins nombreux. Beaucoup de vendeurs, dont je fais parti, préféreront les présenter comme des kabuse-cha (à l'ombrage très long car ombré plus de 20 jours). L'ombrage direct, pratiquer de manière très hâtive lors de l'apparition des nouvelles feuilles entraîne un durcissement des feuilles car cette méthode de permet pas de réguler l'ombrage. De plus, le contact direct risque d’abîmer les feuilles; et cette méthode ne constitue pas une protection contre le givre contrairement à l'ombrière.

Après la récolte, le processus de fabrication n'est en revanche guère différent du sencha, avec un étuvage court, et un malaxage avec moins de pression, les feuilles longuement ombrées étant fines et plus cassantes.
Des lignes de 35 Kg (ne donnant donc que 5-6 kg de aracha), aujourd'hui très rares pour le sencha, sont enore très utilisées pour le gyokuro, on trouve même pour du très haut de gamme, à Kyô-Tanabe par exemple, des lignes de 18K !

Enfin, il est bon de rappeler que le concept de shincha, thé nouveau, ne s'applique pas au gyokuro (ni au matcha), récoltés et fabriqués au printemps, il ne sont mis en vente en général qu'à l'automne après maturation. A Kyôto, certains professionnels chérissent les gyokuro de un ou deux ans.

Préparation et consommation
C'est finalement là que l'unicité essentielle du gyokuro se dégage.
Sa méthode de production a pour but de minimiser les tanins dans les feuilles au profit des acides aminés, pour obtenir un thé très riche en umami, avec très peu d'astringence, et enfin un parfum sucré et végétal très typique propre aux thés ombrés très présents.
Pour mettre à profit ces caractéristiques dans la tasse, le gyokuro est infusé très concentré, avec de l'eau très tiède pour minimiser encore plus l'astringence au profit de l'umami. 
Un paramètre classique sera 5g de feuilles, 30ml (je dis bien ml, pas cl) à 40 ou 50°C sur la 1ère infusion, au moins 90s. Dans la tasse, on obtient ainsi que quelques gouttes de nectar, dense, riche, aromatique, puissant. Beaucoup d'umami certes, mais un umami à la fois puissant et tendre, avec aussi beaucoup d'arômes.
Infuser comme un sencha, le gyokuro est alors très plat, subtil diront certains, mais simplement sans intérêt.

 Il faut donc apprendre à apprécier cette méthode de dégustation, à savourer ces quelques gouttes de thé, puis à contempler l'évolution des arômes sur les 4 ou 5 infusions qu’offriront ces feuilles. On comprend qu'il ne faut pas faire le pingre, ni sur la qualité du gyokuro déguster, ni la quantité de feuilles utilisées, ni sur le temps passer à savourer cet espresso du thé japonais.
Je recommande le shiboriodashi pour la préparation du gyokuro.

Entre ceux produits à Uji, Yame et Asahina, on ressent des différences importantes. Si ceux de Yame sont aujourd'hui les plus primés lors des concours (l'aspect des feuilles a une importance), je préfère pour ma part ceux de Uji, qui me semblent les plus typiques du point de vu aromatique. Asahina est plus confidentiel (et en voie de disparition), mais avec ses caractéristiques propres aussi. A chacun de se faire une idée.
Les cultivars seront comme toujours un élément essentiel de diversité. Kyôto/Uji a développé de nombreux cultivars dédiés aux thés ombrés sélectionnés à partir souvent de graines de théiers locaux "zairai" (ce sont donc des cultivars dans lesquels Yabukita n'entre pas dans la généalogie, ce qui est assez rare) les plus connus pour le gyokuro étant Gokô et Samidori, on pourra citer ensuite Uji-hikari. De nouveaux ont vu le jour depuis, mais il est trop tôt pour dire quel sera leur destin. Néanmoins, on utilise aussi des cultivars classiques comme Yabukita (de moins en moins), mais aussi de plus en plus Oku-midori, et surtout la star Saemidori. Mon avis est que ces cultivars n'égalent pas Gokô ou Samidori pour les parfums, mais il est vrai que Saemidori est bien plus riche en umami, et domine donc les résultats des concours. Il se répand très vite même à Uji.
Quoi qu'il en soit de ces questions de préférence, les différentes zones de production, les cultivars, offrent au gyokuro des variations importantes, qui deviennent évidentes quant on les compare, et c'est après ces efforts de compréhensions que l'on tombe sous le charme, car rien d'autre dans le monde du thé (les thés du monde) n'est comparable. On remarque que le gyokuro n'est pas qu'une question d'umami, mais qu'il y a une profondeur fascinante dans les parfums qu'il développe.

Origine
S'il ne fait aucun doute que le gyokuro fut inventé à Kyôto dans les années 1830, il y a plusieurs versions quant à son origine précise. Néanmoins, le concept est simple, allier le malaxage du sencha, à la méthode de culture du tencha.
On raconte que Yamamoto Kahei sixième génération des marchand de thé de Edo, Yamamoto-ya, aurait obtenu des amas de feuilles en malaxant avec la main des feuilles étuvées de tencha, et que cela, infusé, aurait donné un bon parfum et une belle couleur, donnant naissance au gyokuro.
On parle aussi d'une invention du maître de sencha-dô Ogawa Kashin.
Ou encore du producteur de tencha de Uji Matsubayashi Chôhei, qui ayant perdu son hoiro (plan de travail chauffé servant à faire sécher les feuilles de thé) dans un incendie, aurait fait transformé ses feuilles chez un producteur de sencha, et aurait appeler ce thé gyokuro.
Il faut dire que c'est une époque de grande difficultés financières pour la classe dirigeante des guerriers, principaux consommateurs du tencha/matcha, et qu'il était ainsi nécessaire de trouver de nouveaux marchés, et donc de créer de la nouveauté. Le malaxage comme un sencha des feuilles ombrées aurait permit d'utiliser ces plantations à des fins nouvelles.
On pense donc qu'il n'y à pas un seul nom d'inventaire à mettre sur le gyokuro, mais plutôt le produit d'efforts collectifs pour s'adapter à l'air du temps.


Pourquoi cet article ? D'abord pour expliquer ce qu'est le gyokuro, pour tenter de faire passer un message à son propos, le faire apprécier mieux par un plus grand nombre d'amateurs.  Mais aussi pour que ceux qui choisissent d'en acheter ne le fasse pas pour de mauvaises raisons, et puisse l'apprécier à sa juste valeur. Comme je l'ai déjà dit plus haut, le gyokuro demande au départ des efforts, d'abord d'adaptation à sa méthode de consommation, mais aussi de découverte, il faut en boire un certain nombre pour pour se rendre mieux compte de sa profondeur.
Mais ces efforts ne seront pas vains, ils ouvriront une région nouvelle et inédite dans la géographie des thés. Il serait dommage de s'en passer car le gyokuro est aussi en fin compte un condenser des caractéristiques du thé japonais, un thé vert ombré, étuvé, et malaxé à la manière du sencha.

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