Une théière et une idée du thé
Voilà ma favorite du moment. Une théière Tokoname-yaki fabriquée à la
main, au tour, par Yûsen 友仙 (dont le vrai nom est Konishi Kenji 小西研示).
D'un volume de 260 ml, elle
est très légère, ses parois sont d'une finesse presque inquiétante. Il me semble qu'elle sait tirer aux thés de très bonnes choses.
Ce qui est intéressant, c'est sa forme. Ce n'est pas une
exception, mais elle s'inspire de la forme de théières anciennes de l'époque
d'Edo. Votre regard se dirige alors de suite vers la poignée.
Il y a des
exemples plus extrêmes, mais sont inclinaison est très élevée. Ceux qui
possèdent ce type de kyûsu s'en sont rendu compte, mais cela n'est pas la
position idéale, cela n'offre pas une grande aisance pour la verse du thé...
quand on est assis à une table. Mais asseyez vous en tailleur sur le sol, la
théière et les tasses posées devant vous, et voilà que cette poignée offre une
fonctionnalité parfaite. A une époque où, au Japon, on n'avait pas l'usage de
la table et des chaises, ce type de positionnement de la poignée était donc
tout naturel.
On peut noter que le bec n'est pas coupé en biais, mais
perpendiculaire à l'axe du bec. Cela pourrait rendre la verse délicate, mais
n'en est rien, le liquide descend de manière fluide, peut être grâce à
l'extrême finesse de ces parois.
La forme incurvée du couvercle, comme les traces encore visibles du façonnage offrent des jeux d'ombre exquis dans un espace faiblement éclairé. Par ailleurs, cet aspect non lissé, aurait traditionnellement était considéré comme du travail bâclé, alors qu'aujourd'hui, au contraire cela offre à chaque théière un aspect bien distinct, qui appuie sur le travail manuel. Voilà qui fait un peu cliché, mais c'est le charme, l'esthétisme, de la non perfection.
Je reviens sur la poignée, mais ce positionnement qui rend un peu moins aisé la verse me semble à être pris au contraire comme un charme, un plaisir particulier de ce type de forme. Car, oui, je ne crois pas que le plaisir du thé soit seulement "boire du thé". Je pense qu'aimer le thé c'est aussi, bien sûr aimer les objets qui vont de paire, et surtout prendre plaisir à sa préparation. Finalement, le simple acte de boire le thé versé dans une tasse n'occupe qu'une petite partie du temps passé à "l'acte du thé". Préparer les accessoires, préparer les feuilles, préparer l'eau, laisser se diffuser les arômes, et enfin, boire. Plus que cela encore, je crois que cet "acte du thé" commence même avant, au moment où vient l'envie de thé, on choisi alors son thé, on choisi ses accessoires. Et un bon thé ne se termine pas une fois le liquide avalé, non, car on garde ses saveurs en bouche, dans la gorge, pour quelque temps encore. De cette manière, le simple geste de boire ne représente qu'une partie infime de tout un ensemble de geste, qui tous, font parti intégrante du plaisir du thé, selon moi tout du moins.
Alors, quand j'entends des gens dire "j'adore le thé" et dire ensuite "mais c'est chiant de la préparer", je leur réponds (ou voudrais leur répondre) que non, ils n'aiment pas le thé.
Moment de relaxation certes, mais je n'aime pas voir dans le thé de dimension spirituelle, tout les plaisirs que j'évoque réjouissent les sens, et sont, pourrait-on dire, presque exclusivement physiques.
Cette idée du thé n'engage que moi, elle est ma vision des choses, et cette théière, sur bien des points m'a semblé être un excellent prétexte à poser par écrit ici ma vision de l'acte de thé.
Tout ceci est bien dit ! et je le partage entièrement. L'amour pour le thé ne se résume pas aux quelques minutes pendant lesquelles on savoure le thé en bouche...il commence bien avant et se prolonge bien après...et pendant la dégustation je suis aussi très sensible aux ustensiles, les toucher, les admirer...
RépondreSupprimerMon kyusu en terre rouge de Tokoname a aussi une anse très orientée vers le haut, ça lui donne un charme fou je trouve.
Merci Lionel.
RépondreSupprimerEn effet, ta théière est tout a fait dans ce style ancien des théières de l'epoque d'Edo.
J'aime énormément cette théière qui est réellement une oeuvre d'art ! Elle est si "parfaite", en plus j'adore sa couleur. Elle est pour moi un excellent exemple que le thé, c'est avant tout une tradition, une coutume, un art.
RépondreSupprimerJe vais probablement en parler sur mon blog (www.bienfaitsthevert.com), parce que là, vraiment c'est le coup de foudre ;-)
Amicalement
Marion
Marion, merci beaucoup.
RépondreSupprimerCette couleur est très utilisée par Yusen.
Je n'aime pas considérer le thé ou l'acte de thé comme un art ou une tradition, cela a quelque chose de figé, quelque chose qui le rend difficile d'accès. En revanche, les objets du thé en eux même sont des oeuvres d'art vivante, et la fabrication du thé, par les producteurs et par ceux qui donnent la touche finale avec le hi-ire, est un art.
Ah oui ? Alors que moi c'est l'inverse, me dire que le thé est une coutume ancestrale, le rend plus mystérieux et plus magique... Mais vous avez raison, peut etre du coup moins accessible (car cela peut faire peur...)
SupprimerC'est justement l'idée de the ancestral qui est gênante, car s'il l'ont exclu une élite très limitée, le the tel qu'il existe aujourd'hui n'est bu par une large population japonaise que depuis les années 60. De plus le Sencha , qui domine le marché s'est développé durant l'époque d'Edo comme produit d'exportation, vers les USA essentiellement.
RépondreSupprimerLes japonais buvaient des Thes très différents et variés, qui n'etaient pour boire pour eux mais accompagner la cuisine ou le repas. (tu peux te refaire a mon article sur les bancha)
Bonjour et merci pour votre excellent blog !
RépondreSupprimerLes publications et les sites sur le thé japonais ne sont pas légion et celui-ci m'a vraiment donné envie d'approfondir le sujet.
La théière présentée dans cet article est-elle en vente sur TdJ ? Sinon sauriez-vous comment se la procurer et à quel prix ?
Cordialement,
Clément
Bonjour
RépondreSupprimerMerci pour votre commentaire.
Cela fait très longtemps que cette théière n'est plus disponible.
Amicalement
Florent
Merci de votre réponse.
SupprimerVotre remarque sur les jeux d'ombres et les pièces faiblement éclairées m'a fait penser à un texte de Tanizaki, aujourd'hui assez connu et apprécié en France : Éloge de l'ombre, d'où un intérêt particulier, en plus de la beauté de l'objet.
Je vais donc me reporter sur la petite kyûsu de l'atelier Shôfû ou sur l'ikomi de l'atelier Takasuke.