Interview de Akiyama Katsuhide : le thé comme accompagnateur de la vie
J’ai déjà mainte fois évoqué le nom de Akiyama Katsuhide (52
ans) sur ce blog. J’ai présenté en détail son travail à l’occasion d’une visitechez lui au pied du Mont Fuji dans le département de Shizuoka. Voici cette fois
une interview, qui pourra être mis en parallèle avec celle de Hiruma Yoshiaki,
tant les questions se ressemblent, piètre journaliste que je fais.
Q : Comment êtes-vous devenu producteur de thé ?
A : Au moment où je suis sorti diplômé de l’université
(*1), en plein 2nd choc pétrolier, l’économie du Japon était au plus
bas, et il m’a semblé que retourner à la campagne faire de l’agriculture
n’était pas une mauvaise idée.
L’exploitation familiale, Akiyama-en, était d’une certaine
envergure, nous faisions aussi de la vente directe, il m’a donc semblé qu’il y
avait là des possibilités à exploiter.
Q : Quelle est la spécificité des thés que vous
produisez ?
A : Pour faire court, je dirais du thé sérieux. Du thé
qui exprime simplement les saveurs mêmes des feuilles des théiers.
Q : Qu’est ce qui vous a amené à exploiter une telle
quantité de cultivars ?
A : En comparant nombre de cultivars au cultivar Yabukita
(*2), on peut comprendre plus rapidement les points forts et les points faibles
de ce dernier, et mettre en évidence clairement les particularités de son mode
de culture puis de fabrication. Cela fut la raison première.
Ensuite, en m’intéressant à leurs particularités telles que la
quantité de récolte, leur caractère hâtif ou tardif, leur couleur, etc, j’ai
commencé à mettre la main sur de nombreux cultivars.
Aussi, ce qui m’a permis l’exploitation d’un nombre aussi
important de ces variétés de théiers, c’est l’existence de machines autorisant
la production de tous petits lots, machines qui se trouvaient déjà à la maison
lorsque j’étais à l’école primaire.
Q : Quels sont les avantages et les inconvénients de
votre façon de travailler ?
A : La plus grande des difficultés est la quantité de
travail dû au fait que je fais tout tout seul, de la fabrication du produit
brut aracha, jusqu’à la finition des
produits. De par mon caractère, je ne peux pas déléguer une partie du travail,
et j’ai la très forte volonté de fabriquer et de vendre un produit qui me
satisfasse à 100%.
Le gros risque est que toutes les méthodes de culture, de fabrication
et de finition ne se trouvent que dans ma tête, et que s’il m’arrivait quelque
chose, rien ne pourrait plus fonctionner.
Aussi, faisant tout tout seul, les coûts de main d’œuvre
sont extrêmement bas, mais le labeur qui repose sur mes épaules est bien lourd.
Je cause bien du souci à ma femme et à ma famille.
Aussi, mes thés reçoivent toujours un bon accueil sur le
marché aux thés. Le jugement du marché est une bonne chose qui permet de ne pas
s’isoler dans son autosatisfaction.
Q : Malgré le fait que le « fukamushi sencha » soit devenu le courant majeur au
Japon, vous continuez à attacher une grande importance au traditionnel « futsumushi sencha » (*3),
pourquoi ?
A : Pendant longtemps, j’ai considéré le « fukamushi cha » comme une manière de
faire passer des vessies pour des lanternes. J’ai visité nombre d’usines
spécialisées dans ce type de fabrication, et n’ai jamais été convaincu.
Cela appartient aujourd’hui au passé, mais il y eu une
époque ou nombre d’industriels faisaient des bénéfices énormes en vendant des
thés coloré, ou avec des additifs de saveur.
Je désire me poser dans le monde du thé japonais comme un
puriste attaché à l’authentique.
Avec l’étuvage standard du « futsumushi cha », les feuilles fraiches, leur qualités
propres, sont tout. Il n’y a pas moyen de tromper son monde.
Q : Dans quel esprit, ou dans quel but fabriquez-vous
aussi du thé noir ?
A : J’éprouve un vif intérêt pour les caractéristiques
des cultivars à thé noir développés au Japon. Les changements de parfums me
donnent comme l’impression d’effectuer des tours de prestidigitations !
Lors de la fabrication, faire ressortir par hasard un
superbe parfum est une chose formidable, et mon rôle est de faire de ce hasard
une nécessité. Je voudrais d’une manière ou d’une autre établir un mode de
fabrication déterminé. Aussi, j’aimerai
avoir une forte image de marque et de qualité en ce qui concerne le « thé
noir japonais », mais je manque encore d’expérience.
Enfin, les cultivars à thé noir possèdent des saveurs très
particulières, et j’y ressens de grandes possibilités quant au développement de
nouveaux produits.
Q : Quelles sont les tâches auxquelles vous comptez
vous attaquer dorénavant ?
A : Le parfum. Je voudrais mettre au point des
techniques de fabrication du thé qui fassent apparaître des fragrances
jusqu’alors inédites. Je ne parle bien sûr pas de « thé parfumé »,
mais d’une recherche de fragrances naturelles presque chimériques. Il ne s’agit donc pas non plus du parfum de
torréfaction, mais bel est bien de quelque chose contenu naturellement dans les
feuilles brutes.
Q : Le département de Shizuoka est la plus importante
région productrice du Japon. Comme vous et votre travail vous positionnez-vous
au sein de cette immense région productrice ?
A : Pour ce qui est du sencha, on peut dire que
Shizuoka est en première position en termes de connaissances, de techniques, de
ressources humaines, ou encore de centre de recherche.
Au milieu de cela, il me semble que j’existe de par mes
recherches pour apporter des réponses ou des moyens à des questions sans
réponses. En bâtissant des hypothèses, je lance des interrogations et des
débats aux chercheurs des centres de recherches.
Dans cette logique, nous avons par exemple le cultivar
Kôshun, pour qui les techniques de flétrissement sont nécessaires, ou encore
Inzatsu131, que sa trop forte personnalité à empêcher la diffusion, mais qui,
très typé et unique, ouvre la voie vers
de nouvelles strates de consommateurs, tout en étant vivement critiqué par les
conservateurs attachés au cultivar Yabukita.
Personnellement, j’endosse le rôle de pionnier qui ouvre un
chemin vers de nouveaux buveurs de thé.
Q : Depuis de nombreuses années, le thé japonais vis
des heures difficiles, comment voyez vous son futur, que pensez vous qu’il
faille changer ?
A : Je n’oserais pas penser à changer quoi que ce soit.
Seulement, devant le constat que la société japonaise vieillie, on peut
facilement deviner les changements dans le style de vie des japonais.
Si les Japonais prenaient attention à « l’art de
vivre » (*4) des Français, alors le type de thé que je produis prendrait
tout son sens.
Mais actuellement, la situation continue à évoluer vers la
distinction de deux extrêmes, celui du thé de masse, et un autre de fans très
spécialisés. En d’autres termes, l’école du thé en bouteille ou en sachet, et
celle de la théière.
Il faudrait prendre conscience de l’importance de
l’éducation alimentaire qui doit se faire à l’école. La société évolue dans ce
sens me semble-t-il. Les japonais devraient se rendre compte de l’importance de
la culture culinaire et du mode de vie japonais.
Q : Quel rapport personnel entretenez vous avec le
thé ?
A : Sen no Rikyû aurait prononcé cette phrase : « Quand
je mourrai, le thé passera de mode », j’aimerai pouvoir laisser une parole
de ce genre.
Depuis quelque temps, j’ai l’impression d’être comme un
artisan qui fabrique les instruments d’un orchestre. Un orchestre donne vie à
une œuvre musicale à partir d’une grande variété d’instruments de musique. Je
vois chaque cultivar comme un instrument différent. Si on les fabrique parfaitement
et qu’on arrive à transmettre jusqu’à leur mise en scène et leur exécution, il
me semble qu’il est possible de leur faire prodiguer une harmonie chatoyante
ainsi que de leur donner un rôle d’accompagnement dans la vie de chacun.
Je pense que le thé ne doit pas jouer le rôle principal. Il
ne peut pas être l’acteur principal, je pense que le thé a du sens en tant qu’acteur
secondaire, accompagnateur.
Si l’on reprend la comparaison avec un orchestre, je ne suis
pas le chef d’orchestre, mais un simple artisan qui fabrique des instruments de
musique. Antonio Stradivari n’était pas un musicien mais bien un artisan (*5).
Notes :
(*1) Monsieur Akiyama est diplômé de droit de la
prestigieuse Université Waseda.
(*2) Yabukita est le plus répandu des cultivars de thé
japonais, 80% de la surface cultivée du pays, 90% pour le département de
Shizuoka !
(*3) Futsumushi , étuvage
standard des feuilles, méthode traditionnelle
Fukamushi , étuvage long,
méthode d’invention récente.
(*4) En Français dans le texte.
(*5) Au collège Akiyama-san, amateur de folk, joue de la
guitare, au lycée il joue du saxophone ténor dans la fanfare, et à l’université,
il devient fan de jazz-fusion.
Commentaires
Enregistrer un commentaire